15 octobre 2001

Cher Félix,

     Je ne crois pas à ces théories de l'apologie du suicide chez les intégristes, à ces thèses du sacrifice. Ces concepts supposent un tas de prérequis qui n'existent pas chez ces gens-là, et en particulier le sentiment de la grandeur et de la valeur unique de la vie. Le sacrifice suppose un renoncement quelconque, qui lui même suppose un attachement. Un attachement à la vie qui peut se décliner de multiples façons : désir de réalisation de soi, amour porté à sa famille, ou simplement le plaisir d'être là, de sentir le vent tiède sur sa peau, le sang qui bat en rythme dans ses tempes. C'est la conscience de soi.

     Les familles des pauvres pompiers écrabouillés dans leur bel uniforme aux pieds des twin towers ont peut-être l'impression d'avoir consenti un sacrifice. On accepte une perte évaluée à sa juste mesure pour des valeurs supérieures, que ce soient celles de la liberté, de l'altruisme, ou plus prosaïquement, dans une gestion comptable, on accepte le principe selon lequel on met sa vie en jeu par quitte ou double : sauver un grand nombre au risque de la mort d'un seul, ça semble valoir le coup, c'est mathématiquement tenable, éthiquement indiscutable.

     Le sacrifice suprême, c'est celui de sa vie et là, c'est sérieux, on ne tergiverse pas, pas de demi mesure : le mort devient un héros, rien que ça. Avez-vous remarqué qu'il y a bien plus de héros morts que de héros vivants? Vous me direz, il ne fait pas bon être un héros ces temps si, autant quitter le métier tout de suite. Non, une action est déclarée héroïque justement parce qu'elle a entraîné la mort. C'est bizarre tout compte fait, parce que si on réfléchi un peu, si on doit succomber comme ça, c'est quand même que quelque chose a cloché dans le programme ; si les morts s'étaient bien débrouillés, ils seraient encore vivants. Mais pas héros, il faut savoir ce que l'on veut.
      Qui a osé pensé que les pompiers New Yorkais sont morts en se jetant littéralement sous les grabats, comme des désespérés, sans qu'à aucun moment, il n'ait été possible que quelqu'un soit sauvé par cet acte irréfléchi. Ils sont arrivés trop tard, n'ont pas cherché à évacuer mais à récupérer les bléssés...les morts. Personne n'a pu être découvert vivant sous les débris, parce que personne ne pouvait être vivant là dessous : il n'y avait plus que de la chair, de la viande d'humains. Mais qui leur dira? Le peuple américain ne peut entendre ça, parce que ce serait la désespérance complète, sans compensation, sans rien.

     Rappelez-vous le thème du sacrifice dans l'Ancien Testament : on ne sacrifie que des bêtes saines, auxquelles on est attaché, qui pourraient faire prospérer le troupeau, dont on saliverait volontiers le ragoût. Ce Dieu là est exigent, à la limite du sadisme : qu'est-ce que c'est que cette attitude qui fait que la douleur des autres profite à son plaisir? Drôle d'éthique, décidément. Ce couillon d'Abraham n'était pas un intégriste, au sens contemporain du terme, c'était un bon fonctionnaire du tout Puissant, en quête de promotion sociale, lèche bottes comme pas deux, toujours prêt à cirer les pompes du patron pour grappiller une place dans la hiérarchie. Le Maurice Papon du culte. Il allait sacrifier son fils pour Dieu, sans rien en retour, par simple marque de fidélité. Mais Dieu l'a arrêté : il a du se dire :" c'est bon, celui-là est du genre léger de la cafetière, il ne me volera pas la vedette, je peux l'embaucher". Les puissants, où qu'ils habitent, ne veulent pas de concurrence, c'est un principe absolu.

     Les intégristes ne sacrifient rien en mourant, puisqu'il n'a jamais été question de faire autre chose de leur vie. C'est la finalité de leur existence, pas une occasion qui se présente en passant. Si d'un coup, on leur disait : "tout est finit, la mort pour Allah, c'est plus à la mode, merci et au revoir", ces gars là se retrouveraient bien encombrés. "Mince alors, mais qu'est-ce qu'on va faire de ce truc là qui est la vie? Qui en veut?"

     Malheureusement, le problème ne se pose pas encore en ces termes. Les familles des pompiers pleurent leurs morts, les pères, les mères d'adolescents bardés de dynamites morts pour Allah ne pleurent pas, n'ont pas de larmes à retenir, n'expriment pas d'émotion. C'est terrible à voir, à entendre, ces gens ont appris depuis toujours à ne plus être, et le jour où ça leur tombe dessus, ils s'en aperçoivent à peine, comme si quelqu'un avait déplacé la lampe du salon.

     Vous dites lire le Coran. Mais ce n'est pas fait pour ça. Personne ne l'a lut chez les Musulmans. Ca se mémorise, ça s'imprègne, ça se gémit, mais ça ne se considère pas. Faites une estimation du temps qu'il vous aura fallu pour le décortiquer, avec assimilation et prise de notes, et comparez cela avec les années d'investissement des apprentis d'Allah dont on accapare la cervelle depuis le plus jeune âge. Ce qui me surprend dans les images télévisées de ces écoles coraniques, ce sont ces gosses assis à même le sol depuis l'aube, qui marmonnent les paroles comme on gémit à l'agonie, du matin au soir, en ponctuant leurs déblatèrations de balancements du corps caractéristiques des autistes. Cela m'a frappé : on fabrique des autistes. Aucune autre éducation : on monopolise l'être des gens et il ne reste plus qu'une carcasse charnue, docile.

     Un peuple de pauvres s'apprête à mourir pour un milliardaire qui n'a jamais fait aucun geste pour eux. C'est ainsi qu'il faut voir les choses, les gens déifient Ben Laden, c'est son nom qui est scandé, le dieu s'est vu voler la vedette. S'en est-il seulement rendu compte?

     Mais d'une manière plus large, l'humanité, les hommes n'ont guère besoin de dressage pour être violents. Je crois malheureusement que l'homme est un sale petit animal agressif qui est toujours prêt à pousser son voisin hors du nid pour becqueter un peu plus. Ben Laden, ou d'autres en d'autres temps, sont des catalyseurs de haine, des captateurs de violence et leurs tâche n'est par certains côté pas difficile. Je vous ai raconté l'incident de ce gamin qui scandait à tue tête "Vive Ben Laden" l'air renfrogné et prêt à rétablir la justice dans le monde. Ironie de l'histoire, c'était un noir africain, baptisé catholique et né en France. C'est un sale gosse, il a saisi l'opportunité d'attraper la haine au passage, c'est tout...Combien sont comme ça, combien de petits bourgeois friqués ont balancé des pavés sur les flics en 68 pour le seul plaisir d'emmerder leurs parents et de s'émanciper en désobéissant à papa et maman et en se faisant passer pour d'affreux garnements?

     Je ne crois pas non plus qu'il y ait plus que des souffles de spiritualité dans cette affaire. Ce n'est pas si simple. Le refus d'un vie centrée sur le monde économique n'est pas, en tant que tel, une affirmation de la spiritualité. Ca ne suffit pas. Ces gens là sont des désespérés de la vie, des frustrés qui n'y trouvent pas leur compte. A cause perdu, ils se disent :"allons donc voir ailleurs". Mais le bien n'est pas le contraire du pas trop bien, le monde ne parle pas en langage binaire. Je crois concrètement que si on pouvait, en tant que pays riches, proposer quelque chose à ces gens qui ne les laisse pas dans un état d'hypoglycémie agressive, ils tenteraient le coup, pour beaucoup. Mais ni vous ni moi n'avons les moyens de signer des chèques à un peuple en attente...

Amicalement,

Elisabeth

à compter du