15
octobre 2001
Chère Elisabeth,
....Votre lettre
m'a touché. A travers votre récit on se retrouve de nouveau
confronté à toute l'absurdité du monde. Pire que
son absurdité : sa totale monstruosité. Que puis-je répondre
à votre courrier ? Pas grand-chose. Je me pose les mêmes
questions et j'envie les béats qui possèdent des réponses
ou croient les détenir. J'ai lu aussi, il y a quelques années,
l'ouvrage les Thanatonautes. La mort, soudain, est partout. Elle est à
nos portes et rôde avec sa faux. Elle prend soudain le visage apocalyptique
de l'ange exterminateur. Avant, on pouvait mourir d'un cancer, d'un accident
de voiture. Maintenant il semble qu'on puisse mourir en ouvrant une lettre,
en manipulant une feuille de papier, en prenant un avion. Le dieu de la
mort a le vent en poupe. Au temps de la Guerre d'Espagne il y avait, paraît-il
dans les troupes de Franco des hommes qui criaient lorsqu'ils étaient
rassemblés "viva la muerte !", vive la mort, phrase qui
avait fait réagir l'écrivain Miguel de Unamuno, qui avait
écrit "je ne peux pas rester indifférent en entendant
une telle phrase".
... Je suis actuellement plongé dans
la lecture du Coran. J'ai entendu dans les medias que beaucoup de gens
avaient fait comme moi et que l'ouvrage était en rupture de stock.
Je n'en suis qu'au quart de ma lecture. Il me faut aller jusqu'au bout.
Je prends des notes. Ces jours derniers je suis tombé sur un passage
écrit à Médine :
Verset 79 de la sourate 4 :
- Dis leur que la jouissance de ce monde est peu de
chose et que l'autre vie est meilleurs, pour qui craînt Allah.
...La
paradis décrit par Mahomet est sensuel, ça n'est un mystère
pour personne. On y trouve décrit tout ce dont un homme oriental
peut rêver : des jardins, des ruisseaux, des femmes "pures",
ces "houris", soixante-dix, si je me souviens bien. J'ai vu
également, il y a une ou deux semaines, une cassette vidéo
diffusée dans le monde Musulman, ou des jeunes initient avec le
sourire d'autres jeunes à l'idée de se sacrifier en tant
que commandos-suicides. La vie y est présentée avec dérision
: "il peut t'arriver n'importe quoi. Tu peux être tué
par un âne, par exemple...". La mort, le suicide guerrier,
y est au contraire présenté comme un acte suprème,
une solution délicieuse, après un court moment désagréable
: : "Quand tu mourras, tous tes péchés seront lavés.
Tu prendras aussitôt place aux côtés du prophête
et d'Allah, et ta famille touchera une pension".
...Apologie du suicide. Effrayant.
Je sais que le monde est injuste. Je sais que des cris de douleur, de
faim, de désespoir, montent de la masse des hommes. J'ai entendu
aussi Bush dire une chose étonnante : "je ne comprends pas
pourquoi nous sommes haïs à ce point. Il y a malentendu, car
nous sommes foncièrement bons".
...Je me suis demandé s'il prenait
les gens pour des imbéciles ou s'il était naïf. J'ai
questionné mon entourage. Tous pensent qu'il parle en exprimant
toute sa naïveté : "America is Beautiful". Une Amérique
où je suis allé maintes fois et que je n'ai jamais trop
supporté. A San Francisco je me rappelle avoir trouvé un
marchand de glaces. Chez nous, les glaces se vendent pas boules. Une boule,
deux à la rigueur. Ca n'est que dans l'après guerre que
les Français ont pu découvrir les "split-banana",
des rations écoeurantes, avec je ne sais combien de boules de glace,
de la crème, du chocolat, des biscuits. Nous nous étions
dits "mais comment un être humain peut-il avaler cela ?".
Des années plus tard, à San Francisco, je voyais cette boutique
du marchand de glace, avec tout un assortiment de pots en carton. Il y
avait des pots capables de contenir une boule, deux, trois. Nous avons
les mêmes, chez nous, en France, maintenant, depuis longtemps. Ils
se vendent même dans les cinémas, alors que la pire des choses,
au plan diététique et santé, est précisément
de s'empiffrer entre les repas, ce qui fatigue le pancréas et crée,
à terme, des diabètes. Mais il il y a un marché,
bien sûr.
... Chez ce marchand de glaces les récipients
de carton allaient jusqu'à un grand modèle qui avait la
taille d'un seau de plage. J'ai vu un obèse commander ce genre
de ration. J'avais envie de dire "arrêtez ! Vous vous ruinez
la santé, vous détruisez votre image, vous vous rendez horrible
à plaisir". Je pensais aussi aux gens qui avaient faim, à
l'autre bout de la Terre. Je pensais que, chez nous, nous jetons aussi
des nourritures diverses "pour soutenir les cours". Aujourd'hui
nous payons la stupidité de nos gouvernants. Bien qu'avertis par
l'expérience Anglaise, nous avons massivement acheté des
farines animales. Et nos hommes politiques, confrontés au désastre,
disent "nous ne savions pas. Aucun scientifique ne nous avait averti.
Il n'existait nulle circulaire sur ce problème". Nous prennent-ils
pour des imbéciles ?
... On a enterré pas mal de vaches.
Puis on a découvert que le Prion n'était pas une molécule
biodégradable, ce qu'on ignorait, bien sûr. On a aussi vendu
pas mal de ces animaux dans des pays où manger, même du poison,
est déjà un luxe.
...Il y a différentes
façons de se suicider. La connerie en est une, assez efficace,
semble-t-il. Devrions-nous nous suicider, vous et moi, nier la vie, pour
nous fondre dans la tendance générale ? Vous vous rappelez
Hamlet : "to be or not to be, that is the question". Etre ou
ne pas être, là est la question. Je crois que tous ces hommes
qui se lancent dans le terrorisme suicidaire se posent la même question
et la résolvent à leur manière. Je crois que ceux
qui les guident vers cette voie sans retour se la posent aussi, mais,
pas assez courageux pour choisir cette solution eux-mêmes, ils y
envoient les autres. Nous sommes face à quelque chose de totalement
vertigineux. Nous ne sommes pas confrontés à un problème
"socio-économique" mais à un problème d'essence
métaphysique. Je vous le dis, alors que vous savez très
bien que je ne suis pas croyant au sens classique du terme. Il faut savoir
à quoi nous servons, vite, quel rôle à été
dévolu à l'homme dans l'Univers. Sinon, regardez les réponses
fournies par la science. Le vivant, selon elle, suit les lois du Darwinisme.
Le plus fort, le plus armé, s'impose, doit s'imposer. "C'est
la loi de na Nature". il n'y a pas de place pour une morale. Les
Nazis étaient donc de bons Darwinistes, eux qui pensaient que les
untermenshen, les "sous-hommes" devaient disparaître ou
devenir des esclaves des bons aryens (sans jeu de mot). . Ceux qui doivent
survivre sont "les bons" et les autres "les mauvais",
alias "les méchants". Ce qui donne le vertige, de nos
jours, c'est d'entendre de tous bords des gens qui sont convaincus de
lutter "contre le Mal". Mais le Bien des uns est parfois le
Mal des autres et vice-versa. Singulier paradoxe.
...Il me semble que le problème se
situe ailleurs, au delà des bombes guidées par laser et
des bombes humaines.
...Que sont devenus les
coeurs des hommes ?
Amicalement ..............................................................Félix
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