L'angerie, 11 avril 2002.
Chère Elisabeth,
Je commence seulement à
me familiariser avec le translateur spatio-temporel que j'ai acheté
par correspondance. Il se commande par ordinateur. Je caressais depuis
longtemps l'idée d'en acquérir un, d'autant plus que maintenant
on trouve des translateurs spatio-temporels à des prix somme toute
assez raisonnables avec le logiciel de pilotage et le joystick de commande.
Allez jeter un oeil sur le web. Comme mon neveu et toute la famille m'ont
offert à Noël cette machine, vous vous rappelez, j'ai aussitôt
passé commande. Mais je pense que j'ai du me gourer dans la date
de retour. Si je ne me trompe pas, nous sommes en avril. Quand étais-je
parti, grands dieux ? Heureusement que j'avais confié le chien
à une voisine.
Mais quelle importance, après
tout ? Me voilà de retour et c'est l'essentiel.
J'ai jeté un oeil à nos
correspondances et je nous ai trouvés tous les deux très
coincés. Surtout vous. Enfin....
Je regarde la pile de journaux qui se
sont entassés pendant mon absence. Les américains n'ont
pas réussi à rattraper Ben Laden, à ce que je vois.
J'ai vu que le translateur spatio-temporel permettait des excursions dans
le passé, mais j'avoue que je n'ai pas osé trop en faire.
Vous avez vu "Retour vers le Futur". Des voyages dans le passé
sont-ils raisonnables pour des gens aussi distraits que nous. Je m'imagine
oubliant mon parapluie en plein moyen-âge, avec le risque de transfert
technologique qui pourrait en résulter. Avez-vous songé
aux applications militaires du parapluie ? Tout peut être détourné.
C'est vertigineux. Imaginez un parapluie en acier, construit autour d'une
fine lame de Tolède, fonctionnant comme un bouclier à géométrie
variable. L'ethnie qui récupérerait cela pourrait se rendre
maîtresse du monde en un tournemain et j'en serais le responsable.
Cette pensée me hante. A part quelques exceptions dont je parlerai
plus loin, je suis tranquillement resté dans les voyages spatiaux,
avec de très timides excursions temporelles. Jouer avec le temps
me paraît des plus dangereux.
Il y a aussi des choses qu'on
maîtrise mal. Je me baladais en Italie, en février. Premier
problème : j'avais un hôtel sympa, à Florence. Soudain
je me suis aperçu en jetant un oeil au calendrier que j'étais
passé d'abord au 29 février, alors que l'année n'est
pas bissextile, puis au trente, au trente et un. Comme le coin me plaisait
je suis resté jusqu'au 32 mais après j'ai préféré
rentrer. On ne sait jamais.
J'ai eu aussi des ennuis avec
la monnaie. Moralité, si je repars me balader, il faudra mettre
les francs dans une poche et les euros dans l'autre, sinon, au moindre
glissement d'époque, bonjour les emmerdes. Je pourrais par exemple
me retrouver embêté pour refaire le plein. La machine marche
au 98 sans plomb. On n'en trouve pas partout, hélas. J'aurais bien
pris une diesel, mais c'était plus cher. Heureusement, j'avais
ma carte de crédit. Ça m'a tiré d'affaire.
Rappelez vous H.G.Wells, quand
il part avec sa machine à voyager dans le temps. Il emmène
de l'or. Je vais être obligé d'en faire autant. Vous vous
imaginez en 1914 avec des euros....
A part ça, la routine. Ceci étant,
quand on utilise la machine, ne croyez pas que les voyages soient instantanés.
On voyage dans l'astral, si j'ai bien compris. Là, on voit du monde
passer. Des gens agréables et d'autres qui le sont moins.
Tout d'un coup, je me dis : "Elisabeth
va penser que j'ai disjoncté complètement". A cela
je ne peux que répondre : un, il faut vivre avec son époque.
C'est vous qui m'avez poussé à acquérir un ordinateur,
à avoir un e-mail et à aller sur le Net. Vous assumez les
conséquences. Deux : allez sur le web. Utilisez "Goggle",
vous trouverez la boite qui vend ces trucs, fabriqués à
Hong-Kong, évidemment. Passez commande et démerdez vous.
Après, on aura des choses à se raconter.
Le problème n'est pas de
voyager dans l'espace-temps. Le problème est de ne pas y foutre
la merde de façon irrémédiable. Pour moi c'est un
souci constant. En tout cas j'ai déjà trouvé un truc
sympa. Il me restait un vieux carnet de chèques et quelques francs.
J'ai pris, discrètement, l'habitude d'aller faire mes emplettes
dans le passé. Je bénéficie ainsi de prix nettement
plus bas. j'avais pensé à changer ma voiture, en laissant
mon acquisition garée quelque part. Mais je ne sais pas si c'est
raisonnable de ramener ainsi un truc du passé aussi important.
Enfin, je ne ramène pas cet engin au sens où je peux simplement
le laisser garé quelque part. Mais enfin, qu'en pensez vous ? Vos
conseils seraient bienvenus. Ceci étant quand on remonte quelques
décennies il y a des voitures sympas pour une bouchée de
pain.
Jusqu'ici je me suis contenté
d'aller faire des gueuletons pour pas cher dans des restaurants de luxe
et de m'acheter des cravates. Ça n'est pas bien méchant.
Au cours de mes transferts j'ai
croisé une médium qui faisait un peu de hors corps pour
se dégourdir les jambes.. J'ai mis en "pause" et on a
discuté un peu. Elle m'a filé son adresse dans le "tangible",
"l'actuel" et je pense que j'irai la voir un de ces quatre.
J'ai fait aussi un truc qui m'a amusé.
Je ne suis pas resté longtemps, pour ne pas me faire repérer.
Je suis allé me regarder passer un des écrits de l'X. Mon
dieu, la gueule que j'avais à cet âge ! Mais cohabiter avec
un autre soi-même à une autre époque me paraît
être hautement acrobatique. A mon avis il faut faire très
gaffe à ce genre de chose.
Je revois nos courriers des mois précédents
avec ces escarmouches concernant le paranormal et je trouve ces textes
désopilants. Il reste une question importante : oserez vous aller
surfer sur le ouèbe pour aller voir les différents modèles
de machines spatio-temporelles (prenez un haut-de-gamme d'emblée,
je vous le conseille fortement. Au besoin, prenez un crédit. De
toute façon, vous pourrez rentrer aisément dans vos frais
avec une spéculation discrète, après usage).
Autre options : vous vous procurez
les coordonnées de l'hôpital psychiatrique le plus proche
de mon domicile et vous me signalez comme complètement dérangé.
A vous de choisir.
J'ai arrangé le look de la machine.Celles
qu'on trouve sont un peu trop voyantes à mon goût. J'ai un
carrossier qui travaille à des prix raisonnables. Un parent avait
récupéré une vieille ambulance de la seconde guerre
mondiale. Un "véhicule de collection" qui traînait
dans une grange depuis des décennies. J'ai viré les chats
qui y avaient élu domicile, je l'ai nettoyée et j'ai demandé
au carrossier de m'adapter le truc sur cette ambulance. Il m'a dit qu'étant
donné le peu de cylindrée, sur autoroute, j'allais me traîner
un peu. En fait il n'était pas obligé de savoir que ce "moteur"
était un peu bidon. Mais il y a quand même quelques accessoires
auto, ne serait-ce que pour pouvoir se garer correctement. Si on choisit
une rue et qu'on déclenche simplement un saut temporel, on peut
très bien se retrouver dans un sens interdit ou en double-file.
"Vous avez vos papiers. Comment ! une carte grise datant de 2002,
vous vous foutez de ma gueule. Suivez-vous ! Etc".
L'intérêt de l'ambulance
c'est que, paradoxalement, ça passe assez inaperçu, et qu'on
peut dormir dans le fourgon arrière. Ça laisse aussi une
certaine "plage temporelle". Si je continue mes exploits, je
vais devoir acheter des véhicules de collection de plus en plus
anciens. Mais je ne peux quand même pas acheter une diligence.
La machine elle-même
n'est pas énorme, mais il faut quand même la carrosser. Les
haut-de-gamme sont plus compacts. J'ai regretté après coup
d'avoir pris la version de base. Enfin.....
Qu'est-ce qui pourrait passer
inaperçu à toutes les époques et où on puisse
se loger suffisamment confortablement et même emmener quelques provisions
? Je ne vois pas. Vous aurez peut être une idée. Pour le
moment j'en reste à l'ambulance des années quarante.
A vous lire. Bientôt,
j'espère. Pour le moment, je ne bouge pas. Il faut que j'explore
bien le manuel, qui est en anglais. J'ai le dictionnaire toujours à
portée, parce qu'un contresens peut mener loin avec ce bazar.
Amicalement
Félix
à compter du 13 avril 2002
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