L'Angerie, 5 décembre 2001       

Chère Elisabeth,

   Je viens de relire votre courrier du premier décembre. Il me laisse perplexe. Vous écrivez à un moment :

  - Le paranormal m'apparaît d'abord comme une force de négation sans pareil : il ne cherche pas à émettre l'hypothèse d'autre chose, mais affirme la prévalence d'un monde à devenir ou à traquer par rapport à notre univers courant.

  Je ne sais pas trop ce qu'est "l'univers courant". Je crois que vous vous méprenez sur le sens de ma démarche. Parce que ce monde paranormal vous semble être extérieur au nôtre, vous imaginez que c'est pour moi un sujet de curiosité comme un autre, que je me suis intéressé à cela comme d'autres ont collectionné les timbres ou les papillons. Or, pouvez-vous m'expliquer comment fonctionne le monde, quel est le sens de la vie, quels sont les fonctions de l'homme dans cet univers ?
   Vous répondrez probablement à cette question par une nouvelle pirouette en invoquant l'insouciance, l'humour, le fait de jouir de l'instant. Il y a du vrai, mais je pense qu'il faut des deux, dans une tête et dans un coeur. Sur. Vous connaissez cette image : "ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler". Tout à fait d'accord. Il y a des gens qui vivent l'oeil rivé à leur lunette, à leur microscope, qui dévorent tous les journaux, commentent à l'infini tous les films et qui en oublient de vivre eux-mêmes. Ne me voyez pas comme "un intellectuel" ou un "curieux". J'ai pas mal vécu, dans des mondes dont je ne vous ai rien dit. J'ai été, sous certains angles, une sorte d'aventurier, dans beaucoup de domaines. Si je vis dans ce château délabré avec mon chien, il m'arrive de temps en temps de voyager, parfois assez loin. Quitte à sortir, autant prendre l'air un bon coup, non ? Je voyage, donc, avec mes jambes mais aussi avec ma tête. Dans ces deux domaines j'aime l'aventure, les grands espaces, "la métaphysique à l'ouest du Pecos". J'aime rencontrer des gens nouveaux, différents. Vous êtes l'une de ces rencontres. Au fil de nos courriers nous faisons doucement connaissance.

   Je vous ai parlé du spiritisme pour ouvrir simplement le débat. Au cours de mes voyages lointains, j'en ai vu bien d'autres. La pensée n'est pas un monde clos. Je vous vois écrivant un peu plus loin :

- Je me dis que chaque monde a peut-être intérêt à rester chez lui.

et :

- Qu'est-ce qui reste du paranormal, quand on l'a vidé de ses illusions ?

   Ca n'est ni contemplatif, ni ludique, comme vous l'écrivez. C'est intrigant. Cela veut dire qu'il y a beaucoup, beaucoup de choses qui nous échappent. Cela ne vous agace pas, vous ? Si je voyais un jour une girafe bleue à rayures vertes traverser le boulevard, et si je me sentais ce jour-là à jeun et bien sain d'esprit, je me mettrais à sa recherche. Pas vous ?

   Je me rappelle une phrase que j'avais entendue il y a une quinzaine d'années au Festival Sciences Frontière, lorsqu'il se tenait encore dans la station de sports d'hiver de Puy Saint Vincent. Après avoir entendu un exposé du docteur Benveniste j'avais entendu un chimiste du CNRS déclarer.

- Effectivement, nous ne savons pas vraiment pourquoi l'eau est liquide à la température ordinaire. Mais moi, ça ne m'empêche pas de dormir.

   Moi, ça m'empêche de dormir, je l'avoue. Enfin, de temps en temps. Je n'ai pas la quiétude de ce fonctionnaire imbécile.

  Vous envisagez de "capter les esprits en solitaire" avec votre ordinateur et votre souris. Serait-ce par crainte de faire cela devant des témoins ? La peur du ridicule nous fait parfois passer à côté de tas de choses intéressantes. Peut-être cela marchera-t-il, mais peut-être pas. Je dois vous dire que je dois être un médium assez médiocre car mes propres expériences en solitaire se sont toutes soldées par des échecs. Enfin, vous me tiendrez au courant, promis ? Ceci étant, votre histoire de lettres ton sur ton, sur écran, est intéressante.

   Je me permets d'insister : vous êtes sûre que vous n'avez rien vécu d'un tant soit peu insolite. Je ne sais pas, une petit prémonition, un rêve un peu bizarre, une impression de déjà vu. Rien, vraiment ?

   Laissons un peu reposer ce sujet. J'y reviendrai. Ce qui me gène c'est que vous n'ayez dans ce domaine aucun vécu, aucune expérience personnelle, aucune carte à abattre dans ce jeu. J'ai l'impression de vous parler d'un pays lointain dont vous n'auriez jamais entendu parler et dont l'existence même vous paraîtrait problématique. Ah, je me demande la tête que vous feriez si vous vous retrouviez tout d'un coup face à de l'insolite de qualité. Imaginez ces réponses, avec cette tablette rotative. Cela ne vous intrigue pas ? Peu importe ce qui sortait de cet engin. Le simple fait que cette machine produise des mots orthographiquement corrects était déjà trop, beaucoup trop. Mais il est peut être des expériences qui sont difficilement communicables. Il est vrai que se sont écoulées bien des années avant que je ne sois confronté à une affaire pareille.

   Changeant de sujet, je repensais à l'évocation de l'enquête que vous menez dans nos collèges. Il y a quelques jours j'ai vu un film avec Gérard Depardieu où celui-ci joue le rôle d'un prof d'histoire et géo qui, pour se rapprocher de ses enfants après un divorce, a choisi d'être affecté dans un collège "dur". Tout est, bien sûr, traité sur un mode humoristique pour que les faits présentés soient acceptables. Il y a quelques années la sortie d'un tel film aurait été décrite comme une démonstration de racisme et aurait entraîné très certainement des manifestations. La classe de cet enseignement de 4° technique est peuplée d'enfants d'immigrés noirs, café au lait, Nord-africains. Il a très vite des ennuis avec un jeune maghrébin qui, visiblement, est venu au collège avec une arme, sous la forme d'un cutter et lui fait face, plein d'arrogance :

- A moi, ça ? Prouvez-le !

   Tout y passe, dans ce film. On y apprend que les élèves du collège sont rackettés de manière permanente, que le principal et son adjoint ne survivent qu'en absorbant des doses massives de lexomyl ou de témestat, que les matériels sportif et informatique sont tout simplement volés. La police brille par son absence. L'arrogance d'un noyau dur des maghrébins, en fond de classe, est hallucinante. Rien ne semble les départir de leur aplomb. A la fin Depardieu, accusé carrément de pédophilie par un de ces gosses, simplement parce qu'il laisse pendant la journée à une fillette métisse la disposition de son appartement, envoie une gifle à celui qui l'insulte. Celui-ci sort de la classe en disait à la cantonade :

- Vous êtes témoins qu'il m'a frappé et insulté.

   Notre professeur d'Histoire-Géographie se retrouvera donc au commissariat de police où on procédera à son audition. Dans sa classe, seuls trois enfants auront confirmé ses dires, les autres, menacés par la bande du frère du gamin ont confirmé "qu'il l'aurait frappé, traité de sale Arabe, puis qu'il aurait insulté le Coran". Les policiers sont ... ennuyés. Le commissaire dit qu'ils va "faire de son mieux pour freiner l'enquête". Depardieu, sidéré, disjoncte complètement , quitte le commissariat après avoir fait un esclandre. Au collège, il apprend qu'il est suspendu. Un représentant du ministère est sur place, pour mener à son sujet "une enquête administrative".

   Tout continue dans ce style. L'insécurité règne dans le grand ensemble où il a loué un appartement. Une bande de maghrébins commence par lui voler les quatre roues de son véhicule, qu'il récupère le lendemain et entreprend de remonter. Le chef de la bande tente de négocier "allez, cent francs par roue et on en parle plus". Depardieu refuse. Il échappe une première fois à une agression en rentrant chez lui grâce aux Rotweller de son voisin d'en face, lequel vit, armé jusqu'aux dents et lui propose de lui prêter un revolver, qu'il refuse.

   A l'école les choses ne s'améliorent pas. Il ramasse une pierre en pleine tête, tirée par un gosse en fond de classe, pendant qu'il tourne le dos à la salle. Personne n'ose témoigner. C'est "Graine de violence" un demi-siècle plus tard avec des élèves de cinq ans plus jeunes. Les insultent pleuvent, le mépris est ostentatoire. Aucun recours ne semble possible. Il demande à voir les parents d'un des membres du noyau dur de sa classe. C'est le frère de celui-ci qui arrive, un véritable délinquant, qui le menace sans ambages :

- Ecoute, petit con. Qu'est-ce que tu gagnes ? Huit mille balles ? Moi, je gagne trois fois ça. L'avenir de mon frère, tu ne t'en occupes pas, tu as compris, j'en fait mon affaire. Tu lui fous la paix, et si insistes, je te grille la voiture et je te fous ton appartement en l'air, vu ?

    Depardieu se lève, va vers le bureau du principal pour que le frère de cet élève de sa classe lui répète tout cela devant témoin, mais en ouvrant la porte il trouve le pauvre homme, bourré de tranquillisants, .... en train de finir une bouteille.

   Rien ne nous est épargné. Le collège doit faire face à l'irruption de gamines portant le foulard Islamique, qui arrivent dans le collège accompagnées à la porte par un groupe de "barbus". La direction ayant refusé de les garder si elle n'acceptent pas de ce défaire de cet attribut, on voit les parents venir faire un esclandre dans les locaux du collège, menaçant le principal d'un procès, de suites juridiques.

   Fin du film : prévenu par un voisin, Depardieu se porte au secours d'une jeune gamine, passée à tabac dans une cave de son immeuble par de jeunes maghrébins de son âge, celle-même qu'il avait essayé d'aider à laquelle il avait donné la possibilité de venir travailler en son absence dans son appartement, au calme. Il est alors pris à parti très sérieusement et blessé par un gang de maghrébins dur, donc le chef est la frère de ce gosse qui le défie ouvertement depuis sa prise de fonction. La police fait enfin son apparition, arrête les agresseurs et le dégage.

   Elisabeth, vous qui avez commencé à enquêter dans ces milieux pour votre prochain livre, dites-moi : cela correspond-t-il à de la fiction ou sont-ce des faits crédibles ?

   J'ai entendu hier que des policiers qui avaient procédé à l'interpellation d'un maghrébin mineur, l'un d'eux ayant été frappé et blessé par celui-ci, avaient décidé de rester dans leur commissariat, la justice ayant remis le garçon en liberté, le lendemain même de l'incident, après une "peine dérisoire" : la composition d'une rédaction concernant la dure mission d'un policier", condamnation considérée par les fonctionnaires de police concernés comme une véritable provocation, de la part de la "justice". Une scène où ces mêmes policiers, patrouillant dans la cité après la remise en liberté du garçon qui les avait frappés quelques jours plus tôt, seraient accueillis avec les bras d'honneur des gamins résidents aurait pu être jointe au scénario du film présenté ci-dessus. La différence c'est qu'il s'agit cette fois d'une réalité qui semble devenue quasi quotidienne.

    J'ai l'impression, en le contemplant par la lucarne de mon petit écran, de me retrouver face à un monde que je ne comprends plus très bien.

    J'ai vu un membre de l'ETA, réfugié en France mais faisant l'objet d'un mandat d'arrêt international, défiler librement, ostensiblement, s'exprimer devant les caméras de télévision à l'occasion d'un manifestation tenue par les indépendantistes basques Français (à quand les Bretons, les Auvergnats ? etc...). Personne, sur le moment, n'est intervenu. Le préfet n'a pas bougé. La police n'a pas procédé à l'arrestation de cet individu (mais j'ai appris hier qu'il avait quand même fini par être interpellé).
     Les Espagnols, qui viennent de subir des attentats extrêmement meurtriers dans leur pays : bombes, policiers abattus de sang froid en pleine ville, étaient sidérés. De même que nous rappelions quelques mois plus tôt que l'Angleterre se refusait toujours à livrer des fanatiques Islamiques dont la France réclame depuis des années l'extradition, sans doute, là-aussi, "pour ne pas accroître les tensions".

    En France, quel est le gouvernement qui gère une telle gabegie, qui fait preuve d'un tel renoncement, d'une telle lâcheté ? Nous allons êtres appelés à voter. Vers qui faudra-t-il se tourner ? Entre l'ouverture d'esprit, le souci d'intégration, la non-discrimination, et le laxisme, la lâcheté, il semble qu'un dérapage se soit opéré. On retombe toujours sur le problème de fond. Les citoyens d'un pays ont des droits, mais ils ont aussi des devoirs. C'est ce qu'on appelle le civisme. Il semble que notre gouvernement ait totalement perdu cela de vue. Hier je discutai de cela avec un ami, au restaurant. J'ai dit :

- Le problème est que de tels dérapages peuvent un jour ramener sur la scène politique des gens comparables à Hitler.

Soudain un voisin, qui nous entendait, s'est manifesté :

- Cela ferait peut-être du bien aux gens !

   Quel âge avait-il ? Je lui donnais la cinquantaine. Cet "adulte" parlait donc d'une époque qu'il n'avait pas connue. Moi qui ai plus de vingt ans que lui, je me demandai s'il réalisait réellement de quoi il pouvait parler. Je pense que non. Allons-nous revivre un jour un basculement du laxisme vers une terreur aveugle ? N'y aurait-il pas un moyen d'échapper à une telle horreur ? Ces événements rappellent soudain chez moi des souvenirs abominables, des scènes dont j'ai été témoin oculaire et dont je préfère ne pas parler.

   En Afghanistan les femmes, qu'on voit encore le plus souvent sous leurs burkas bleues, ont essayé de manifester dans les rues de Kaboul. Elles ont été frappées à coup de nerf de boeuf par des moudjahidin de "l'Alliance du Nord", sommées de se disperser "parce que cette manifestation avait été interdite". Que réclamaient-elles ? Le droit d'évoluer à visage découvert, de travailler, de parler. Un représentant de "l'Alliance du Nord" est arrivé et a sommé le caméraman d'interrompre ses prises de vues, en le menaçant ... de lui tirer dessus, carrément en aboyant : "on ne doit pas parler aux femmes". On nous a montré les ruines du musée de Kaboul, où des milliers d'oeuvres d'art d'un prix inestimable avaient été pulvérisées de manière irréversible par les Talibans fanatiques. Dans le département numismatique toutes les pièces d'or avaient été volées, sans doute par "le ministre de la culture". Je trouve que ce mot "d'états-voyous" est assez bien choisi. Bien sûr, les voyous se trouvent plus fréquemment dans les quartiers pauvres que dans les quartiers rupins. Délinquance, pauvreté et inculture marchent souvent du même pied. Bien sûr, tous les hommes politique de l'entourage de Georges Bush ont été grassement rétribués par des compagnies pétrolières, lesquelles ont également financé la campagne électorale du président. Mais ça n'est pas parce qu'on a laissé de manière imbécile se développer une situation absolument catastrophique, que cela soit en fermant les yeux face à une immigration sauvage, en laissant les choses pourrir dans un quartier ou à l'échelle d'un pays que la solution passe de nouveau par la démagogie. Qu'on le veuille ou non, les Européens, qui meurent de peur à l'aide de connaître de nouvelles flambées de terrorisme sur leur sol, sont bien contents de voir les Américains jouer les flics de la planète. Des flics qui, jusqu'ici, étaient resté bien planqués dans leur commissariat et que la situation du 11 septembre a contraint d'abandonner leur attitude isolationniste.

    Le monde a sacrément changé, depuis cette date, mais nos hommes politiques, qui ressemblent toujours à des marionnettes totalement creuses, apparemment pas. Nous avons un ministre de l'intérieur totalement incapable de prendre des décisions à la hauteur de toutes les situations auxquelles il est confronté. J'ai vu un plan où un gendarme montrait le chargeur se son "arme de service", un simple pistolet, maintenue avec un élastique. Simple : elle avait trente ans d'âge. D'autres gendarmes disaient "comment voulez vous que nous nous lancions à la poursuite de délinquants avec un fourgon Renault Trafic ? D'autres, en patrouille, disaient hors caméra (ils sont tenus au devoir de réserve, en tant que militaires) : "Nous sommes quatre dans le véhicule, mais nous n'avons que deux gilets pare-balle. Maintenant ils défilent dans la rue par centaines. Une première dans l'hexagone.
   A côté de cela j'ai vu un plan montrant Yves Rocard, il y a deux semaines. Il convenait que lui aussi était allé à Matignon chercher ses "enveloppes en liquide". Sa justification : "Il fallait bien que je m'achète un complet neuf tous les mois. Et comment voulez-vous faire face à de tels frais avec une simple indemnité parlementaire ?" Cet homme politique à prétentions intellectuelles, digne représentant de notre "gauche-caviar" n'avait même pas l'air d'avoir conscience de l'énormité de ses propos.

   Tout cela est authentique. N'importe quel Français a pu le voir et il faut que cela reste dans les mémoires. Nous avons donc d'un côté des gendarmes qui partent en patrouille sans gilet pare-balle, alors qu'un homme politique, et non des moindres, s'offre un complet neuf chaque mois avec de l'argent perçu en liquide, issu des "fonds secrets".

    Comment cela va-t-il finir ?

   Il faudra qu'on parle d'Israël, de la Palestine. J'aimerais bien avoir votre avis de plus jeune. Tout flambe, tout explose, là-bas. Les choses se développent à une vitesse folle. Arafat, hagard, a l'air complètement dépassé par les événements. Un soir nous regardions les informations, avec mon frère et ma belle-soeur. Un journaliste interviewait deux invités, le porte-parole de l'état d'Israël à Paris et un femme un peu enveloppée, apparemment porte-parole des Palestiniens dans cette même ville. A un moment, le juif a dit "il y a cent mille Palestiniens qui viennent travailler chez nous, et cela se passe très bien". La femme a rétorqué : "Nous ne voulons pas être les ouvriers d'Israël !". Babette, ma belle-soeur a explosé immédiatement :

- Vous l'entendez, celle-là ! Si j'étais sur ce plateau je lui clouerais le bec. Qu'elle me cite un pays Arabe où les ouvriers Arabes sont bien traités, un seul où les droits de l'homme sont parfaitement respectés ! Quand j'étais adolescente, en Algérie, j'en ai vu, des passionarias dans son genre, qui n'arrêtaient pas de la ramener. Maintenant elles sont dans leurs cuisines et les hommes du FIS égorgent leurs enfants. Ces gens ne sont pas capables de se gérer eux-mêmes, cela se démontre chaque jour. On parle d'états voyous, mais il y a aussi des groupes immatures. Donnez-leur une terre à ces Palestiniens, un état, il ne leur faudra pas plus de quelques années pour y recréer le Moyen-Age.

   Nous regardions un défilé de Palestiniens encagoulés, vêtus de blanc, futurs "commandos-suicide", se dandinant comme des singes. Un peu plus loin des parents avaient habillé leurs enfants de cinq ans de tenues militaires. L'un d'eux portait même autour de sa taille le simulacre des charges explosives qu'emportent ces commandos de la mort. Comment peut-on faire une chose pareille ? Ces parents-là ne sont-ils pas des malades mentaux ? Et que dire de ce chef spirituel du Hamas, avec ses petits yeux de fouine. J'entends encore Babette crier :

- Dans tous les pays du monde, les adultes se battent pour protéger leurs enfants. Même les animaux le font. Il n'y a que ceux-là  qui envoient les jeunes à la boucherie. C'est scandaleux !

   Quand Babette démarre, il est difficile de l'arrêter, mais j'avoue qu'il y avait de quoi exploser. Elle continua de plus belle :

- Vous savez ce qui manque aux Palestiniens ? Du pétrole, comme en ont des Iraniens, les Irakiens, les Saoudiens, les Lybiens, les Algériens. Comme cela ils pourraient avancer une revendication "d'ordre économique", ils exigeraient "qu'on leur rende leur pétrole". En dehors d'exploiter ou de faire exploiter par d'autres l'or noir, ou à la rigueur le tourisme, comme en Egypte, connaissez vous un pays Arabe qui ait été fichu de développer une réelle activité économique sur son propre sol ? Regardez les Afghans, qui ont vécu en produisant 75 % de l'héroïne du marché mondial. Ecoutez ces "fidèles compagnons du commandant Massoud", ce qu'ils ont à la bouche : Ils veulent un état Islamique et rien d'autre, avec la Charria et tout le reste, maintenir leurs femmes en esclavage et leurs enfants dans l'abrutissement entretenu dans leurs écoles coraniques. Or, qu'est-ce qu'un état Islamique, sinon une fantastique régression économique, un figeage social total, une structure fondée sur l'aumône. Lisez le Coran où la pauvreté fait partie intégrante du système (puisque « l'aumône » fait partie des premiers devoirs du croyant) et où les riches doivent simplement veiller à ne pas trop afficher leur opulence. Avez-vous vu ce reportage sur les médinas Marocaines ? On y voyait un riche homme d' affaire marocain nous faire visiter sa demeure, d'un luxe fabuleux, en insistant bien sur le fait que "rien, de l'extérieur, ne permettrait de deviner que cette maison contient de telles richesses. Voyez-vous c'est par respect pour les pauvres, qui vivent dans le voisinage".
    Les états Islamiques sont des structures anti-démocratiques où le pouvoir atterrit entre les mains de religieux rétrogrades, où on se prive systématiquement des compétences potentielles de la moitié de la population : celle des femmes en l'occurrence (60% de la population Afghane) qu'on maintient systématiquement dans l'analphabétisme, alors que ce sont les seules qui bossent dans ces fichus pays. Les états Islamiques sont investis, non stop, dans un "Jihad", dans cette « guerre sainte » qui est un effort de propagation de ce système à travers le reste du monde. Regardez ce qui se passe au Cachemire où le Pakistan (où on assassine les pakistanais chrétiens, qui doivent se cacher) entreprend d'exporter l'Islam à coup d'attentats.

    J'appelle cela du nazisme. Hitler n'a rien fait d'autre, dans les années trente. En Autriche les Allemands qui y résidaient réclamaient "leurs droits", prétexte qui servit au Fürher un beau jour pour envahir le pays. Au Cachemire les extrémistes islamistes font attentat sur attentat, "jusqu'à ce qu'on reconnaisse leurs droits", et au delà jusqu'à ce que le Cachemire, ravagé par une minorité de fanatiques, ne bascule enfin complètement de gré ou de force dans cette mouvance, dans cette espèce de maladie mentale, et accepte, lui aussi, de se plier à la Charria.

   C'est pareil en Algérie, avec le FIS et vous savez très bien ce que ces gens là veulent.

   Elle est bien commode, cette violence érigée en système, où tout extrémiste musulman, fanatique, foncièrement intolérant, devient "un combattant de l'Islam", faute de pouvoir se comporter en bâtisseur et en artisan de paix. On voyait encore Arafat il y a quelques jours passer en revue sa garde personnelle. Un état ne peut être bâti par un "ministre des affaires étrangères", un diplomate. Quel est le bilan du "gouvernement Arafat" au sein du "processus de paix"? Nul. Dans les pays musulmans le laxisme est le berceau de la violence, surtout quand des pays voisins ne demandent qu'à l'exporter. Arafat a été incapable d'endiguer cette gangrène qu'est le Hamas et son fichu Jihad. Aujourd'hui des mères palestiniennes enseignent le meurtre et le terrorisme à leurs enfants en même temps qu'elles leur donnent le sein. En Palestine des écoles et des médias Islamistes bourrent les crânes des gosses. Ceux-là n'ont plus rien d'autre dans la tête que le Jihad ("fruit de leur désespoir") et les Occidentaux prennent le relais en évoquant "ces Palestiniens qui sont sans avenir". Or, vous ne les avez jamais vus évoquer leur propre avenir.  Tout cela est extrêmement pervers. Il y a quinze jours un journaliste interrogeait un combattant Afghan :

- Que ferez-vous après la guerre, quand la paix sera revenue ?

   L'homme était resté un instant interdit et a fini par dire : "est-ce que vous pourriez reformuler votre question ?"

   A propos de leur avenir possible, les Palestiniens semblent totalement dénués d'imagination, et Arafat ne semble en avoir non plus. C'était la même chose en Algérie, après notre départ. Les anciens combattants se sont rués sur les postes ministériels, vers les "portefeuilles" et la corruption a commencé à se développer aussitôt.

   L'intégrisme islamiste n'a aucun plan pour ses peuples, sinon la Charria, directement issue de leur Moyen-Age. Il est incapable de s'adapter au monde moderne, sinon en assimilant ce que nous avons créé de plus négatif : la violence, les armes modernes, la corruption, les comptes en Suisse, la spéculation boursière. C'est tout sauf un système égalitaire puisqu'il débouche sur des Etats aberrants comme le Yémen, l'Arabie Saoudite, le Quattar, l'Algérie, où règnent la corruption et le bakchich. Nous aussi, nous connaissons la corruption, certes, mais nous savons aussi construire, créer des richesses, même si le produit du travail n'est pas réparti de manière très juste. Je doute que les Palestiniens soient capables de se bâtir une économie "adulte". Dans l'entourage d'Arafat on parle déjà de corruption. Mauvais départ, non ? Il n'y a pas de richesses à exploiter en Palestine, pas de pétrole. Pas plus dans ces "états Palestiniens occupés" qu'en Israël, du reste. Mais le Juifs comme les pieds-noirs sont des bosseurs-nés et ce dont souffrent au premier chef ceux qui ne rêvent que d'une chose : la disparition de l'Etat d'Israël,  c'est de la jalousie. Ils envient, ils haïssent ceux qu'ils sont incapables d'égaler.

- Babette, vous oubliez que les Sionistes ont quand même pu bénéficier dès le départ d'un énorme apport technique, intellectuel et financier que leur procurait la diaspora Juive, en particulier la colonie Juive Américaine.

- Je ne l'oublie pas. Alors, que font les états Arabes riches voisins pour aider ces Arabes pauvres à se construire une économie? Ce n'est pas l'argent qui manque, chez eux. Mais ils se sont bien gardés de leur en donner. Ils leur ont fourni des armes, des explosifs, et des Mollah pour mener une guerre Sainte par Palestiniens interposés. Et ceux-là ne s'en sont même pas rendus compte. De toute manière, même avec de l'argent, je doute que ces Palestiniens soient capables de se construire une économie et un système social sain et ils le savent très bien. C'est pour cela que le terrorisme constitue une issue, une sorte de fuite en avant. Les Israéliens pourraient leur permettre d'améliorer leur cadre de vie, en les intégrant à leur propre système socio-économique, ce qui serait aussitôt décrié comme une exploitation éhontée. Mais, qui préféreriez-vous être ? salarié en Israël ou en Arabie Saoudite, ou chez des Koweïtiens ? Livrés à eux-mêmes, ces gens n'ont pas leur pareil pour exploiter leurs propres frères sans la moindre vergogne et aucun journaliste occidental n'a jamais eu le courage de le dire.
   Franchement, voyez-vous Arafat trouvant dans son entourage un ministre de l'économie et des finances, de l'industrie, de la santé, de l'éducation ? Quand on parle de ministères, le terme consacré est "portefeuille". Pour ceux-là le mot est parfaitement choisi. J'espère que les Afghans, sous contrôle, pourront échapper à cette ornière, à leur tribalisme médiéval. On nous traite de colonialistes, mais qui osera un jour évoquer ce trait qui caractérise ces groupes humains qui émergent brutalement, en quelques décennies, d'un haut Moyen-Age, voire de la préhistoire : l'arriération. Chez eux, l'économie devient synonyme de corruption, l'activité économique devient gabegie, mise à sac, vente au profit d'étrangers du potentiel national à bas prix, au bénéfice de quelques-uns. L'éducation se résume à un endoctrinement, au maintien d'une arriération imbécile. La santé est réservée aux riches, les salaires deviennent des aumônes, les droits des travailleurs disparaissent, les droits de l'homme sont bafoués, les femmes deviennent des esclaves et des bêtes de somme, la pédophilie devient légitime. Combien, dans les pays Islamistes, d'épouses qui ont dix ans, douze ans ?
  Ceux qui se sont haussés au statut d'hommes politiques pensent avant toute chose à leur propre intérêt, à celui de leur famille, puis à celui de leur clan, de leur tribu. Ils se battent de manière stérile comme des fauves autour d'une proie. La notion de service est absente. La police n'assure pas la sécurité mais, vénale (quand elle ne vit pas en symbiose avec le clan des bandits) elle est l'outil d'une répression impitoyable. Les pays qui ont accédé à l'indépendance, à quelques rares exceptions, sont devenus des caricatures d'états, où la liberté est le plus souvent absente. Avez-vous oublié des personnages comme « l'Empereur » Bokassa, ancien sergent de son état. Bien sûr, nous avons tous été les complices de cette gabegie. La Suisse a offert ses "comptes en banque sécurisés", inaccessibles. Comme les partis politiques des pays riches, en particulier en France, auraient du mal à s'autofinancer avec les cotisations de leurs adhérents, des "porteurs de valise" vont collecter des fonds dans les pays Africains. D'où vient cet argent ? Nous l'avons appris récemment. Elf, par exemple, apporte aux Africains de l'argent. Leurs chefs d'états, qui en détournent aussitôt une bonne partie sur leurs comptes personnels, renvoient l'ascenseur en remettant des "valises de billets" à des "porteurs de valises", lesquels les apportent à leur tour, moyennant une petite commission, aux partis politiques Français dont les leaders se servent au passage, touchent leur bakchich. Tout cela est rendu possible parce que les finances Africaines sont moins contrôlées, et en fait pas contrôlées du tout.
   A ces pays "nouveaux", nous vendons des armes "pour qu'ils puissent assurer leur sécurité", nous faisons fonctionner notre industrie de guerre. Comme nous l'a appris mon fils Henri, nous leur avons même vendu des réacteurs nucléaires, en échange de pétrole et de Gaulle, dans cette nouvelles croisade technologique, était en tête : on l'a vu sur des documents d'archives.
  Les leaders de ces pays nouveaux ont bien appris les leçons. Nous utilisons l'Afrique comme une poubelle. Les Américains ont fait de même au Vénézuéla, au Chili, en Irak, dans le monde entier, partout. Sottise supplémentaire : ils ont voulu utiliser les fanatiques musulmans pour mener, par Islamistes interposés, une guerre contre "les rouges" et ça leur est fantastiquement revenu dans la figure. Quant à la gauche Française, elle a vu dans une population d'immigrés, bénéficiant rapidement de la nationalité Française, un afflux providentiel de bulletins de vote.

- Babette, vous considérez-vous comme quelqu'un de droite ?

- Félix, vous me faites rigoler. Me croyez-vous aussi naïve ? Pensez-vous que j'aie oublié comment Le Pen a construit son aisance matérielle. Comment se fait-il que la Haute Cour de Justice ait préféré différer la mise en examen du Chef de l'Etat à l'expiration de son mandat ? Mais, inversement, croyez-vous que j'aie oublié "Le coup de jardins de l'Observatoire", quand Mitterand, pour conforter son assise politique, s'était fait tirer de dessus à la mitraillette par son copain Bénouville, il y a quarante ans de cela ? Un montage indigne d'un homme politique, ce qui ne l'a pas empêché de récolter deux mandats présidentiels successifs. Regardez la grogne actuelle des gendarmes. Croyez-vous que ce pays est géré quand on voit se multiplier les "dysfonctionnements" de tous ordres. Cette grogne des gendarmes n'est pas seulement le signe d'un manque d'effectifs ou de conditions de travail difficilement supportables. Elles indiquent que les Français, à toutes les échelles, même dans des couches qui étaient censées représenter l'épine dorsale du pays ont cessé d'estimer leurs dirigeants. Comment voulez vous qu'un gendarme, qui n'a pas de quoi se payer un gilet pare-balles, puisse estimer une classe politique où un Rocard avoue devant des caméras de télévision avoir touché chaque mois, à Matignon, des sommes en liquide se chiffrant en dizaines de milliers de francs pour s'acheter des complets neufs. Parfois, je suis contente de n'avoir pas fait de grandes études.

- Cela me rappelle la phrase de Mauras : "Quand les peuples cessent d'estimer, ils cessent d'obéir".

- Exactement. Mais l'extrême droite n'est pas non plus la solution. Vous voyez un gouvernement monté par le Pen et les autres? Des Arafat, on marche dessus, à gauche comme à droite.

- Alors, Babette, que suggérez-vous ?

- Je ne sais pas? Tout cela me rend si triste que, souvent, j'entre dans une église et je prie.

   Nous avons eu son son de cloche de ma belle-soeur Babette, qui résonne comme un tocsin. Nous donnerez-vous le vôtre ?

        Amicalement                                                                         Félix

 

 

                                                                         7 décembre 2001

      Chère Elisabeth,

    J'ai reçu ce courrier de mon neveu Henri. Je lui avais demandé de me trouver une biographie de Mahomet et il l'a fait. Vous verrez, à propos de l'informatique, que les membres de ma famille, coalisés, me laissent plus guère le choix. Vous vous en féliciterez sans doute. Ma foi, je me suis en principe tiré de pas mal de situations délicates et il y en a de plus bêtes qui ont appris à se servir de ces machines. J'ai joint la lettre, où il cite des versets du Coran qui m'ont pas mal étonné. Je n'en croyais pas mes yeux et je me suis précipité sur l'ouvrage pour vérifier s'il ne s'agissait pas d'une blague de mon neveu.

        Amicalement                                                                         Félix


                                                                                                                             Versailles, le 4 décembre 2001

 

 

                             Mon Cher Oncle,

    Vous m'aviez demandé de vous trouver une biographie de Mahomet. J'ai fini par dénicher celle-là dans l'Encyclopedia Universalis. Dans cet envoi, un tirage sur papier, et une disquette. Vous pourrez faire suivre celle-ci à votre amie Elisabeth Plumier.

     Le conseil familial a statué. Il a été décidé à l'unanimité de vous offrir un ordinateur pour Noël, pour deux raisons. La première est qu'il serait grand temps que vous vous décidiez, mon oncle, à entrer dans le vingt et unième siècle, la seconde est que vous puissiez fournir à votre amie des documents qui lui évitent d'avoir à tout retaper à la main, pour des simples considérations de charité chrétienne, dit maman. Personnellement, je m'engage à assurer votre formation concernant la manipulation de l'ensemble du matériel qui prendra désormais place à l'Angerie dès la fin de cette année. Tout se passera très bien, vous verrez.

    Papa m'a dit au téléphone que Maman et vous aviez des échanges hauts en couleur. Je regrette de ne pas pouvoir être plus souvent parmi vous pour suivre cela en direct.

       Bien affectueusement                                                           Henri

Post Scriptum :

    Nous avons à l'Institut des gens qui connaissent bien le Coran et qui suivent l'actualité internationale au Moyen-Orient. L'un d'eux a attiré mon attention sur les versets 49 à 53 de la sourate 33 :

49. Ô toi, Prophète en vérité, Nous déclarons légales pour toi les épouses, auxquelles tu auras constitué leur dot, et les captives qu'Allâh aura fait tomber entre tes mains, et les filles de ton oncle paternel, et les filles de tes tantes paternelles, et les filles de ton oncle maternel, et les filles de tes tantes maternelles, qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme croyante, si elle veut se donner au Prophète et si le Prophète veut l'épouser - c'est un privilège spécial pour toi, au dessus de tous les croyants.

50. Nous savons ce que nous avons ordonné pour eux, au sujet de leurs épouses et de leurs femmes esclaves, de manière qu'il n'y ait pas d'empêchement pour toi. Et Allâh est pardonneur; il est miséricordieux !

51. Fais venir auprès de toi celles d'entre elles que tu voudras et reçois chez toi celle que tu voudras, ou celle que tu désires de nouveau, après l'avoir négligée; il n'y aura pas de péché pour toi si tu agis ainsi. Il te sera plus facile de rafraîchir leurs yeux : qu'elles ne soient donc pas affligées et que toutes soient satisfaites de ce que tu leur as accordé. Mais Allâh connaît le mieux ce qui est dans leur coeur; et Allâh sait, il est bon.

52. Il n'est pas légal pour toi de prendre d'autres femmes, dorénavant, ni d'en échanger contre d'autres femmes, quand bien même leur beauté serait l'objet de ton admiration, à l'exception des captives que tu peux avoir. Car Allâh observe tout !

53. Ô vous qui croyez ! n'entrez pas dans les maisons du Prophète, sans que vous en ayez reçu l'autorisation, pour un repas - et n'attendez pas qu'il soit préparé ! - Mais lorsque vous êtes invités, entrez; et lorsque vous aurez mangé, retirez-vous, sans vous engager familièrement dans une conversation. En vérité, cela ferait de la peine au Prophète, et il rougirait de devoir vous demander de prendre congé de lui. Mais Allâh ne rougit pas de la vérité !
     Et si vous avez à demander quelque chose aux femmes du Prophète, demandez-le-leur derrière un voile. C'est ainsi que vos coeurs et leurs coeurs demeureront purs. Evitez de faire de la peine à l'Apôtre d'Allâh. N'épousez jamais les femmes avec lesquelles il aura eu commerce. En vérité, cela serait grave aux yeux d'Allâh !


Présentation du personnage de Mahomet par Maxime Rodinson.
Source : Encyclopedia Universalis.

MUHAMMAD 571?-632 Mahomet (en arabe Muhammad) est, parmi les fondateurs des grandes religions universalistes, celui que nous connaissons le mieux. Il a fondé l'islam, qui compte aujourd'hui bien plus d'un milliard d'adhérents et dont le rôle historique fut considérable. Sa biographie est loin d'expliquer à elle seule ce succès, mais contribue pour sa part à cette explication. Homme génial, issu d'une société en marge des grandes civilisations de l'époque, il sut forger une synthèse idéologique impressionnante, capable de séduire d'abord son pays natal, puis de s'imposer dans une vaste zone du globe. Il sut aussi employer des dons remarquables de chef politique et militaire à acquérir le contrôle de l'Arabie. Mystique (incomplet), profondément religieux, mais non pas pur homme de sainteté comme le Christ et le Bouddha, les faiblesses humaines de cette impressionnante personnalité ne font que rendre sa biographie plus attachante.

1.       Les sources

      Renan croyait que la vie de Mahomet, par opposition à celle de Jésus, s'était déroulée à la pleine lumière de l'histoire. C'est une illusion née du caractère très détaillé de la biographie traditionnelle. Mais l'étude critique de celle-ci a démontré que beaucoup des détails en question étaient suspects d'avoir été forgés dans des buts tendancieux (avec beaucoup d'art d'ailleurs), un ou deux siècles après l'événement. Il ne faut jamais oublier que les biographies du Prophète les plus anciennes que nous possédions datent du début du IXe siècle, soit deux siècles après les événements. Il est vrai qu'elles ont utilisé des compilations plus anciennes, elles-mêmes fondées sur des listes datées d'événements et de noms qui avaient été conservées par écrit ou de mémoire. Elles citent comme sources des traditions orales transmises depuis les événements par des chaînes (isnad) de garants. Mais nous n'avons aucune garantie de la fidélité de cette transmission ni même de sa réalité. On ne peut écarter entièrement ce que cette tradition écrite ou orale nous apporte, mais on ne peut non plus s'y fier aveuglément pour aucun détail concret, et les critères incontestables manquent pour faire le départ entre l'historique et le suspect.

      Une source est sûrement authentique, c'est le Coran, qui est considéré comme le recueil des paroles de Dieu dictées à Mahomet. Mais son texte est en grand désordre. On ne peut y rétablir qu'avec peine et avec bien des incertitudes l'ordre chronologique. Les événements de la biographie du Prophète n'y sont évoqués que de façon allusive. C'est donc une source difficile à utiliser.

      Les biographies classiques les plus anciennes sont celles d'Ibn Ishaq (env. 767), que nous ne connaissons que par l'adaptation abrégée d'un de ses élèves indirects, Ibn Hisham (env. 834); celle de Waqidi (823), réduite au récit des campagnes du Prophète; celle de son secrétaire Ibn Sa`d (845); enfin celle de l'historien compilateur Tabari (923), qui utilise uniquement des écrits antérieurs. Occasionnellement, des renseignements de valeur anciens ont pu parvenir par intermédiaire jusqu'à des ouvrages postérieurs.

      Une critique soigneuse des sources est nécessaire. Au minimum, les faits sur lesquels s'accordent des sources de tendances divergentes, même quand elles les interprètent différemment, les faits aussi qui contredisent les idées ultérieures doivent être considérés comme assurés. En essayant de comprendre les démarches d'où résultèrent ces événements, en utilisant le texte coranique qui, pour des non-musulmans, ne peut être que l'émanation inconsciente de l'intellect et de la sensibilité du Prophète, en tirant parti prudemment des informations de la tradition que leur accord avec le résultat de ces démarches peut plus ou moins authentifier, on peut aboutir à une représentation vraisemblable de la biographie et même de la psychologie de Mahomet.

2.       Avant la Révélation

 On sait très peu de choses sûres concernant la vie du Prophète avant la Révélation. C'est là-dessus que la tradition ultérieure a le plus brodé et fabulé. Elle place en général, mais il y a des variantes, sa naissance (à Mekka, que nous appelons La Mecque) en 571 de notre ère, suivant des calculs très douteux. Il est possible que la seule base sûre en soit l'indication qu'il était né du vivant de l'empereur perse Khosrô 1er, soit avant 579. Son nom Muhammad ("le loué") était assez courant. Il était fils d'un nommé Abd Allah et d'une mère appelée Amina.

Abd Allah appartenait à la tribu de Quraysh, spécialisée dans le commerce international, qui habitait la ville de Mekka, située dans une vallée aride impropre à l'agriculture. Cette ville ne subsistait que grâce à ce commerce et aux profits découlant du pèlerinage à son temple local. Des pèlerins nombreux y affluaient et commerçaient par la même occasion. On vénérait, au centre du temple, un bâtiment plus ou moins cubique, la Ka'ba, où étaient rassemblées de nombreuses idoles et encastrée une pierre noire d'origine météorique, supposée réceptacle du divin comme c'était souvent le cas chez les sémites.

 Muhammad perdit son père et sa mère peu après sa naissance. Il appartenait au clan de Hashim qui aurait eu auparavant la prédominance à Mekka, mais qui l'aurait perdue du temps de sa jeunesse. Orphelin peu fortuné, il fut recueilli par son grand-père, Abd al-Muttalib, puis par un oncle, commerçant aisé, Abu Talib. Celui-ci l'aurait emmené avec lui dans ses voyages d'affaires, notamment en Syrie. Mais ces voyages ont été tellement ornés de légendes par la tradition qu'on ne peut savoir si le fait lui-même est exact.

 De toute façon, Muhammad était un orphelin pauvre et devait travailler. Il aurait, tout jeune, gardé les moutons. Il fut, plus tard, embauché par une riche commerçante, une veuve, Khadidja, qui, comme beaucoup de Mekkois, organisait des caravanes. Il aurait accompagné ses caravanes, jusqu'en Syrie peut-être, et aurait été son homme de confiance pour diverses affaires. Devenue amoureuse de lui, elle lui proposa le mariage. Il accepta quoiqu'elle eût, dit-on, quarante ans et lui vingt-cinq. Elle lui donna des filles au nombre de quatre, mais tous les fils qu'il en eut moururent en bas âge. Muhammad devint ainsi un homme aisé et même un notable considéré. Il adopta son cousin Ali, fils de l'oncle Abu Talib et un esclave que lui avait donné Khadidja et qu'il affranchit, Zayd, de la tribu arabe des Kalb, en grande partie chrétienne.

 Le non-musulman peut essayer de comprendre, en utilisant les sources selon la démarche indiquée ci-dessus, les conditions psychologiques qui préparèrent la Révélation. Si Muhammad fut un homme intelligent, mesuré, équilibré et très réaliste, il n'en était pas moins doté d'un tempérament nerveux, passionné, fiévreux, plein d'aspirations ardentes.

Ce côté de sa personnalité dut être accentué dans sa jeunesse par des insatisfactions multiples. Il avait été pauvre et rendu sensible par là à la détresse des pauvres; son mariage exclusif avec une femme âgée devait entraîner des frustrations au milieu d'une société où les notables utilisaient largement la polygamie; il était déçu de ne pas avoir de descendance mâle, ce qui était une honte pour les Arabes. Enfin les vues amples et profondes qu'il avait sur le monde et les affaires humaines ne rencontraient qu'incompréhension et mépris de la part des hommes installés à la direction de la cité.

Insatisfait de sa situation dans le monde, on s'explique qu'il ait regardé d'un oeil critique l'idéologie que lui proposait sa société. L'évolution récente des conditions politiques, économiques et sociales de l'Arabie, surtout sensible dans sa ville natale, provoquait chez bien des esprits une sévère contestation. Cette évolution accentuait le rôle de l'argent et sapait l'équilibre social avec les valeurs tribales et communautaires qui lui étaient liées. On remettait en question la religion polythéiste traditionnelle, peu satisfaisante pour les aspirations nouvelles, ainsi que la conception matérialiste brutale du monde qui dominait chez les marchands mekkois. Les tendances monothéistes, les pratiques et les idées que diffusaient en Arabie juifs, chrétiens et même mazdéens attiraient une large sympathie. Elles étaient auréolées du prestige de la "civilisation" supérieure des grandes puissances voisines où elles étaient en honneur. Mais l'affiliation pure et simple à une des religions en question impliquait une prise de parti politique pour la puissance dont elle était la doctrine officielle ou qui la protégeait, ce qui en écartait certains des sympathisants arabes.

 Muhammad s'instruisit de ces doctrines en interrogeant à Mekka les chrétiens qui y étaient en petit nombre, pauvres et de peu d'instruction, les juifs peu nombreux aussi, mais qui disposaient dans la région de centres puissants, riches, organisés, avec des intellectuels savants. Il apprit sur l'histoire biblique bien des choses, non sans déformations, soit par suite de malentendus, soit parce que ses interlocuteurs étaient eux-mêmes peu instruits ou appartenaient à des sectes aberrantes.

3.       La secte mekkoise

  Muhammad prit l'habitude de faire des retraites, à l'instar des ascètes chrétiens et de leurs imitateurs arabes, dans une caverne d'une montagne proche. Il y méditait en s'y livrant à des pratiques d'ascétisme. Un jour, vers l'an 610, il eut une vision "comme le surgissement de l'aube", il entendit une voix, il vit, selon la tradition, l'archange Gabriel (Djibril en arabe) qui lui transmettait des paroles de Dieu.

 D'abord effrayé, suspectant un piège de Satan, il s'habitua peu à peu à recevoir ces paroles, il les répéta à son entourage et, plus tard, les dicta à un secrétaire. C'est leur notation écrite, plus tard mise en ordre, qui devait former le Coran (en arabe qur'an, "récitation"). On a pu reconstituer plus ou moins la chronologie des révélations (sans aucun rapport avec l'ordre canonique du livre tel qu'on l'édita plus tard). Au début, en un langage saccadé, sonore, ardent, la voix d'En-Haut dénonçait surtout les riches et les puissants, les marchands mekkois fiers de leurs fortunes, avides d'en jouir. On les adjure de se soumettre au Créateur unique et tout-puissant, Allah, qui leur demandera des comptes au jour terrible du jugement. Ils devront suivre les conseils du modeste "avertisseur" qu'est Muhammad, se montrer humbles et justes, donner une part de leurs biens aux pauvres et aux orphelins.

L'appel de Muhammad convainquit d'abord sa maisonnée et quelques amis, puis d'autres Mekkois de condition modeste, parmi les frustrés, les humiliés, avec aussi des jeunes animés d'un esprit de révolte contre leur milieu. Autour de lui se forma une petite secte se livrant à des pratiques de piété, suscitant l'ironie, le mépris ou parfois la compassion.

 Le passage à l'hostilité déclarée semble avoir suivi une tentative (ou une apparence de tentative) faite par Muhammad, inconsciemment semble-t-il, pour regagner l'estime de ses concitoyens en accordant quelque place à des divinités locales à côté d'Allah (littéralement "la divinité") que les Arabes reconnaissaient déjà comme un dieu parmi d'autres. Sa rétractation après cette tentative parut une déclaration de guerre aux dieux, au sanctuaire, aux valeurs et aux intérêts de la cité. Il se posait en seul interprète autorisé des volontés divines, prétention dangereuse même sur le plan temporel.

Une persécution suivit qui frappa surtout les faibles de la secte, alors que les membres importants (dont Muhammad lui-même) étaient protégés par leurs clans, même opposés à leurs idées. La pensée du Prophète se développait. Les révélations insistaient maintenant dans un style narratif et plus calme sur les récits bibliques. L'accent était mis sur les prophètes du passé qui avaient été méconnus par les leurs, les gens importants de leur peuple. Le groupe était désigné du nom de musulmans (en arabe muslimun, "ceux qui remettent leur âme à Allah"). Il se distinguait par la pratique de la salat, "prière rituelle", en fait ensemble fixé de prosternations, d'inclinations et d'invocations que le croyant accomplit plusieurs fois par jour en hommage au Créateur en se tournant vers Jérusalem selon la coutume juive et chrétienne.

 Certains fidèles émigrèrent en Éthiopie chrétienne où ils furent bien accueillis. On pressentait peut-être une catastrophe cosmique, aube des derniers jours. Les événements mondiaux qui rappelaient des prophéties anciennes impressionnaient les esprits. Les Perses avaient envahi l'Empire romain d'Orient, prenaient la ville sainte de Jérusalem (614) et menaçaient Constantinople.

 En 619 moururent coup sur coup deux protecteurs de Muhammad: son oncle Abu Talib et sa femme-mère Khadidja. Abu Talib fut remplacé à la tête du clan de Hashim par un autre oncle, Abu Lahab, très mal disposé pour son neveu. Muhammad chercha un refuge. Après plusieurs essais sans résultat, il entra en contact avec des habitants de Yathrib, une oasis située à environ 350 kilomètres au nord-ouest de Mekka, qu'on appelait aussi Médine (al-Madina, "la ville"). Deux tribus arabes, les Aws et les Khazradj, s'y combattaient sans arrêt avec l'appoint fluctuant de trois tribus juives qui y avaient établi un centre intellectuel important. Ces luttes continuelles faisaient tort à la culture des palmeraies et des champs dont tous tiraient leur subsistance. Des mandataires des deux tribus arabes conclurent un accord avec Muhammad. on l'accueillerait à Médine et il y rétablirait la paix, jouant un rôle d'arbitre inspiré de Dieu dans les disputes tribales.

 Les fidèles mekkois (environ soixante-dix hommes et femmes) partirent pour Médine. Les derniers, Muhammad et son conseiller préféré Abu Bakr, partirent en cachette, arrivant à Médine le 24 septembre 622. C'est l'année de l'hégire (hidjra, "émigration" et non "fuite").

4.       L'État de Médine

Muhammad révéla à Médine des qualités insoupçonnées de dirigeant politique et de chef militaire. Il devait subvenir aux ressources de la nouvelle communauté (umma) que formaient les émigrés (muhadjirun) mekkois et les "auxiliaires" (ansar) médinois qui se joignaient à eux. Il recourut à la guerre privée, institution courante en Arabie où la notion d'État était inconnue. Muhammad envoya bientôt des petits groupes de ses partisans attaquer les caravanes mekkoises, punissant ainsi ses incrédules compatriotes et du même coup acquérant un riche butin. En mars 624, il remporta devant les puits de Badr une grande victoire sur une colonne mekkoise venue à la rescousse d'une caravane en danger. Cela parut à Muhammad une marque évidente de la faveur d'Allah.

Elle l'encouragea sans doute à la rupture avec les juifs, qui se fit peu à peu. Le Prophère avait pensé trouver auprès d'eux un accueil sympathique, car sa doctrine monothéiste lui sembalit très proche de la leur. La charte précisant les droits et devoirs de chacun à Médine, conclue au moment de son arrivée, accordait une place aux tribus juives dans la communauté médinoise. Les musulmans jeûnaient le jour de la fête juive de l'Expiation. Mais la plupart des juifs médinois ne se rallièrent pas. Ils critiquèrent au contraire les anachronismes du Coran, la façon dont il déformait les récits bibliques. Aussi Muhammad se détourna-t-il d'eux. Le jeûne fut fixé au mois de ramadan, le mois de la victoire de Badr, et l'on cessa de se tourner vers Jérusalem pour prier.

 L'activité de Muhammad suscitait, au fur et à mesure qu'elle s'affirmait plus indépendante, l'opposition non seulement des païens et des juifs, mais aussi celle de Médinois qui avaient accepté la validité de ses révélations. Derrière leur chef de file, Ibn Ubayy, ces gens, qu'il appelait les Douteurs ou les Hypocrites, multipliaient les objections à ses actes, les réticences sur son pouvoir grandissant, critiquaient les émigrés mekkois musulmans. Muhammad supprima peu à peu les appuis de cette opposition.

Peu après Badr, des poètes médinois païens qui avaient injurié le Prophète furent assassinés, et le clan juif de Qaynuga, à la suite d'une querelle engagée sur un motif trivial, fut expulsé de Médine et ses biens confisqués.

 En mars 625, devant la colline d'Uhud aux portes de Médine, une armée mekkoise prenait la revanche de Badr. Mais les Mekkois n'exploitèrent pas leur succès. Muhammad expulsa alors encore une tribu juive de Médine, les Nadir, soupçonnés de mauvais desseins. Ils purent emporter beaucoup de leurs biens. Un dernier effort fut tenté par les Mekkois sous le commandement du subtil Abu Sufyan du clan umayyade. Trois armées convergèrent sur Médine. Muhammad recourut à une innovation militaire, inconnue dans cette partie de l'Arabie, le creusement d'un fossé pour arrêter les assaillants. Ceux-ci, mal préparés pour un siège, finirent par partir. Muhammad profita de ce succès pour éliminer de Médine, en la faisant massacrer, la dernière tribu juive qui y restait, les Qurayza, qu'il accusait d'un comportement suspect. Son pouvoir était définitivement consolidé. Il semblait invincible.  

Pendant ce temps, ses idées avaient évolué, et la religion qu'il prêchait s'était nettement arabisée. Il se rattache directement à Abraham (Ibrahim), dont il a découvert qu'il était l'ancêtre des Arabes par Ismaël (Isma'il) aussi bien que des juifs, qu'il n'était ni juif ni chrétien, mais comme lui un monothéiste pur. Il s'agit pour les Arabes de retrouver cette foi, non de s'aligner sur les religions étrangères. À Ismaël et à son père se trouve attribuée la fondation de la Ka'ba, l'énigmatique maison située au centre du sanctuaire mekkois. Les générations postérieures sont accusées de l'avoir défigurée en y introduisant des idoles. La prière doit s'orienter maintenant vers la Ka'ba, qu'on espère libérer et épurer. La Révélation prend des positions nettement antijuives, en insistant sur la personne de Jésus, grand prophète né d'une vierge, mais non pas Dieu. Les juifs sont accusés d'avoir calomnié sa mère et voulu le tuer, mais en vain car un fantôme lui fut substitué sur la croix (emprunt à l'hérésie docétiste).

Muhammad est devenu un véritable chef d'État grâce à son prestige religieux et à la force de ses disciples armés. La nouvelle communauté est pourvue par la Révélation de dispositions juridiques, par exemple sur les peines et les successions. La richesse du Prophète s'accroît par des dons et par sa perception du cinquième du butin. Il finit aussi par exiger des tribus vaincues des contributions régulières. Des pactes sont conclus avec de multiples tribus arabes qui, en même temps, font acte d'adhésion, souvent du bout des lèvres, à l'islam. Peu à peu se constitue, plutôt qu'un véritable État, toute une zone d'influence que Muhammad domine par des moyens surtout diplomatiques. Elle embrasse bientôt toute l'Arabie.

Muhammad cherche surtout à attaquer obliquement sa ville natale et à l'isoler. Abu Sufyan et les Mekkois d'esprit politique comprirent bientôt qu'ils avaient intérêt à s'entendre avec lui, maintenant qu'il accordait une grande place à leur sanctuaire. En mars 628, il se présenta devant Mekka avec une troupe non armée pour faire le pèlerinage. Un pacte fut conclu remettant celui-ci à l'année suivante, mais stipulant une trêve de dix ans. En janvier 630 enfin, les armées musulmanes occupaient la ville à peu près sans opposition. Les derniers adversaires se ralliaient, recevant en récompense de grosses parts de butin et de hautes fonctions.

Toute l'Arabie entrait rapidement dans ce quasi-État médinois, le système dirigé par Muhammad qui, imposant la cessation des razzias entre tribus, contraignait à chercher ailleurs de nouvelles ressources. Des expéditions furent lancées sur les marches byzantines de Palestine, sans grand résultat.

Muhammad mourut de façon inattendue, après une courte maladie, le 8 juin 632 à Médine. Ses conseillers surent prendre en main sa communauté et empêcher la désagrégation et l'effondrement qu'on put craindre un moment.

5.       La personnalité et le rôle de Mahomet dans l'islam

Si le développement postérieur de l'islam est dû aux circonstances (pour ceux qui n'y voient pas la main de Dieu), une part importante de son succès vient néanmoins du génie de Muhammad. On peut le créditer d'une grande intelligence, d'une habileté et d'une ténacité remarquables, d'un sens très fin des hommes et des situations. Au début, une flamme ardente l'emporte, l'indignation le brûle et s'exprime en une véhémente poésie. Certes, le succès le gâta quelque peu, il en vint à croire un peu trop facilement à des inspirations qui satisfaisaient ses penchants naturels. Mais il n'y a pas de raison majeure de mettre en doute sa sincérité jusqu'au bout. Il faut tenir compte des moeurs du temps et de son pays pour juger certains de ses actes, atroces ou quelque peu hypocrites (encore qu'ils semblent avoir suscité quelque réprobation à l'époque même) . On voit là surtout la dégradation habituelle de la mystique (car ce fut une grande personnalité religieuse) en politique, avec toutes les suggestions pernicieuses de la raison d'État. Il montra, en bien des cas, de la clémence, de la longanimité, de la largeur de vues et fut souvent exigeant envers lui-même. Ses lois furent sages, libérales (notamment vis-à-vis des femmes), progressives par rapport à son milieu.

Sa vie privée influa sur ses déterminations et même sur ses idées. Après la mort de Khadidja, il épousa une veuve, bonne ménagère, Sawda, et aussi la petite `A'isha, fille d'Abu Bakr, qui avait à peine une dizaine d'années. Ses penchants érotiques, longtemps contenus, devaient lui faire contracter concurremment une dizaine de mariages. Cela n'alla pas sans jalousies, intrigues et parfois scandales avec d'opportunes interventions d'Allah. Le groupe constitué par sa fille Fatima et 'Ali, qui épousa celle-ci (ils lui donnèrent deux petits-fils, Hasan et Husayn), était hostile à celui que formaient deux des coépouses du Prophète et leurs pères Abu Bakr et 'Umar, conseillers de celui-ci. Cette rivalité devait avoir de graves conséquences plus tard.

La glorification de Muhammad devait aller croissant après sa mort. Symbole de l'unité de la nouvelle foi, il se vit attribuer des charismes de plus en plus éminents, en particulier pour le placer au moins à égalité avec les fondateurs des autres religions. Certaines sectes allèrent jusqu'à le déifier. Un véritable culte s'organisa autour de sa personne et ses reliques furent particulièrement vénérées. Encore aujourd'hui, si on n'applique plus comme autrefois la peine de mort à l'encontre de ses insulteurs, il reste impossible de manquer de respect envers sa mémoire (ou de paraître en manquer) dans les pays musulmans.

                                                                                                     Maxime Rodinson, Encyclopedia Universalis

à compter du 10 décembre 2001