Pas d'histoire aujourd'hui :
qui suis-je?, c'est une question pour de vrai. Je ne me le suis
jamais demandée, et quand je vois le résultat, je confirme
que j'ai bien fait. Mais les lecteurs spéculent, m'interrogent,
réclament des photos dédicacées, me guettent à
la sortie de mon château...Alors voilà. Tout est vrai, mais
le mystère essentiel, désolée, demeure : de quelle
planète suis-je?
Que celui qui a une idée me contacte
: ça m'intéresse...
Ni
extravertie à outrance, ni intimiste à l'excès, je
ne sais pas faire pleurer dans les chaumières ni réveiller
la libido des sexagénaires ensommeillés. Pas de webcam dans
ma salle de bain : n'y comptez pas, ma baignoire n'a pas le look requis
: silhouette vieillotte, pattes branlantes...pas belle à voir la
bête. N'insistez pas. J'ai dis non!
Alors? Un poème mitonné au coin de la
cheminée. Ma cheminée...a été murée,
je ne sais pas pourquoi. Il y a peut-être un cadavre là-haut,
qui sait.
Une chanson? Demandez audience à mon petit voisin,
il vous racontera. Il implorait grâce, me suppliait de l'achever...j'ai
eu pitié. Je chante dans ma voiture sur l'autoroute Sens-Nancy.
Le dimanche, il n'y a personne.
Une petite toile? Allez voir ma mère, c'est elle
qui les a toutes.
Il n'y
a pas de gens ordinaires. C'est sans doute cela. Mon médecin lâche
son diagnostique avec conviction : "atypique". Celle-là,
si elle pouvait me décalotter la boite crânienne, elle serait
aux anges. J'ai plus de radios en tous formats de mon cerveau que de photos
de ma bobine. Je ne sais pas ce que tout ce petit monde y cherche : Dieu
a du y oublier son alliance...
Atypique,
mais fonctionnelle quand même. J'aime bien la vie, ça occupe
en attendant la mort. Mais je ne suis pas assez téméraire
pour mourir, je n'y arriverai jamais. A sept ans, je me suis dis :"il
faut être fortiche pour oser mourir. C'est au dessus de mes forces."
La cause est donc entendue une fois pour toute : je suis immortelle. Eternelle.
Sachez-le. Si certains veulent me faire des offrandes, je ne suis pas
contre, mais en dollars uniquement.
Autre
sophisme : à huit ans, ma mère me prévient : "on
n'utilise jamais le séchoir à cheveux à proximité
de l'eau, c'est très dangereux.
-Ah, alors il faut attendre d'avoir les cheveux secs...".
L'école
n'a pas voulu de moi, alors je me venge en lui imposant ma présence.
Rejetée de l'école maternelle, scolarisée tardivement,
renvoyée du collège, cohabitant avec le lycée, convoitée
à l'université. Inadaptée, ça doit vouloir
dire la même chose qu'atypique? Autodidacte, c'est une des insultes
de l'arsenal du capitaine Haddock. On ne m'a presque rien appris : quelques-uns
m'ont suivie du regard en me laissant partir dans leur générosité
et leur grandeur d'âme. J'ai eu de la chance dans cette histoire.
Mon énergie est dilapidée à tous vents et je ne doute
jamais qu'il y en ait pour tout le monde, mais à force de me répandre,
parfois je me dissous.
Je ne
me suis jamais ennuyée livrée à moi-même :
mais il y a des choses et des gens qui m'ennuient. Les réunions
me tuent, alors je me mets en hibernation : respiration ralentie, déconnexion
du cerveau, maintenance d'un posture droite, impassible.. En option :
rêveries. En extra : fantasmes. Ce dernier étant à
utiliser avec modération, sinon l'étape une est remise en
cause. Pour expérimentés seulement. Je devrais faire breveter
le système, succès garanti. Dans les réunions de
travail s'opère une magie insaisissable qui répond à
la question suivante : comment des individus isolés moyens peuvent-ils
former une bande d'imbéciles? Dormons, ça passera.
Je vieillirai
quand j'aurai arrêté de mûrir, pas avant et à
mon avis, ça ne va pas me tomber dessus avant un bon moment. J'ai
eu un développement précoce et j'aurai une maturation tardive.
Je regarde le monde avec l'oeil qui brille et un petit sourire en coin
; j'ai un sens ludique fabuleux, hypertrophié. Tout m'amuse, je
perçois le non-sens, les ironies du sort, l'involontairement pathétique,
le ridicule. Délices tout ça.
L'amour?
Je fais ce que je peux, mais je n'ai jamais réussi à avoir
le permis. Dernier trophée : un agent secret de la Dgse. Très,
très secret comme agent secret. Option invisible : on a tout fait
ensemble, sauf se voir (mais vu ce qu'on faisait...). C'était mon
premier job de Jame's Bond girl. Si on me retrouve avec dans la tête
une balle téléguidée par satellite GPS espion, sachez
que je ne serai pas morte de mort naturelle. Contre une pétition
suppliante, je veux bien tout raconter...
Mes
parents étaient complètement fauchés au moment de
ma naissance, alors il ont pris le modèle sans options à
la pouponnière. On leur a dit :
-La croyance, bien sur c'est le must, mais c'est un peu cher...
Mon père :
- Et à quoi ça sert dans la vie?
-A rien voyons, ça sert juste dans la mort. C'est un investissement
à long terme. Si on prie beaucoup, on capitalise des intérêts,
si on est pauvre et chaste, on gagne le droit de voir Dieu par le trou
de la serrure quand il prend son bain.
-Non finalement, on va faire comme pour la voiture : on prend un
gros moteur, mais pas d'options.
Et voilà, patatra! Obligée de se servir de ses neurones,
si c'est pas malheureux tout ça.
Mais
ces bestioles cérébrales-là étaient bien nourries
et elles proliférèrent, et comme ailleurs dans le monde,
vint le moment de la surpopulation, les terres n'étant pas extensibles.
Les plus forts tuèrent les plus faibles, mais il y eu des blessés,
des estropiés, des culs de jatte, des borgnes et des manchots.
La guerre finie, tout ce petit monde dût cohabiter tant bien que
mal, mais l'harmonie et l'ordre, la sérénité et la
docilité, l'obéissance et la fermeté étaient
à jamais rompus. Les railleries, les bousculades et l'anarchie
donnèrent lieu à un équilibre instable, précaire,
imprévisible. L'imagination et l'humour jaillirent du chaos, comme
ça.
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16 ans : moi en pleine lecture de
la critique de la raison pure sur les plages de Royan |
-Tiens, ça vit en moi, amusons-nous un peu. Des rêveurs
attendent un sauveur depuis 2000 ans, ça ne serait vraiment pas
de bol s'il débarquait devant chez moi avec ses holocaustes. Et
puis, je n'ai pas envie de sacrifier mon chat...".
Drôle
d'époque. Quand elle avait trois ans, ma filleule regardait avec
perplexité une bestiole frire dans une poile. Elle me demande :
-Qu'est-ce qui cuit?
-Du poisson
-Ah, nous aussi on en a, mais c'est pas pareil, nous c'est des poissons-animaux.
Son frère possède un très bel aquarium où
battent des nageoires insolites. Je n'eus pas le courage de lui avouer
que le carré pané qui se dandinait ainsi avait jadis goûté
à l'eau de l'océan. De toute façon, c'était
dans une autre vie.
La nature,
j'adore, mais qui peut encore en parler? L'autre dimanche, je grimpais
naïvement dans les roches de la forêt qui jouxte la ville et
qui prolonge celle de Fontainebleau. Au pied des roches, un couple et
leurs enfants se rôtissent dans le sable. Le gars s'exclame : "incroyable,
un lézard!". Ben oui coco, les crocodiles, ça pousse
pas par ici. La nature, bien souvent, c'est la même chose que les
villes, mais fabriqué avec d'autres matériaux. Je me lasse
un peu.
Il y
en a qui arnaquent les enfants, mais moi, je ne me suis pas laissée
faire. Quand j'avais 5 ans, la poupée de ma petite soeur s'est
trouvée éventrée. Tout d'abord, je tiens à
dire que c'était un accident ; j'ai toujours soutenue cette thèse
et je ne reviendrais pas sur ma déposition. Déception totale
: il n'y avait pas d'organes à l'intérieur ! On s'était
foutu de moi. Je me suis donc mise aux legos et aux mécanos, de
vrais amis ceux-ci, de ceux qui ne vous trahissent jamais ; j'enchaînais
les engrenages, les poulies, je motorisais tout cela.
Cinq ans, la belle époque, ma première
école buissonnière, l'après-midi passé...dans
les buissons. Aujourd'hui tout se perd, les jeunes ne savent plus faire
l'école buissonnière : ils sèchent, fuient l'école
mais ne cherchent rien d'autre. L'église du village m'a perdue
puisque je suis rentrée à l'heure présumée
de la sortie de l'école, mais ce fichu coucou avançait d'un
bon quart d'heure. Si on ne peut plus faire confiance à Dieu maintenant.
Notre inimitié à tous deux vient de là.
A neuf
ans, j'allais me brûler les mains et les semelles des chaussures
dans la décharge publique à la recherche de trésors.
Il fallait escalader un grillage gigantesque pour tomber sur une masse
fumante dont l'odeur imprégnait notre corps. Si l'enfer pouvait
être peuplé de telles merveilles... Mon inséparable
voisine me disait : "il suffit de mâcher du chewing gum à
la menthe pour cacher l'odeur" et bons princes, nos parents faisaient
parfois honneur à nos efforts de dissimulation. Je planquais de
vieilles roues destinées à la fabrication d'engins hybrides
hissés avec peine sur les sommets de la petite colline. Les vaches
se délectaient des descentes hasardeuses parce qu'il n'y avait
pas de trains par ici.
J'ai
eu une enfance verte, exploratrice. J'étais la seule perdue dans
les immensités des forêts vosgiennes à m'exclamer
: "on est perdu, génial!" Je garde des souvenirs précis
de mes égarements, dés deux/trois ans, sur les plages des
côtes sauvages charentaises, dans la campagne...dans les supermarchés.
Je conserve toujours cette déficience du sens de l'orientation
agrémentée d'une étourderie insolite et une tendance
au vagabondage. Je me perds partout : à la fin d'un séjour,
je suis toujours incapable de retrouver ma chambre d'hôtel, je mets
une demi-heure à repérer ma voiture sur le parking du supermarché...et
quand j'y parviens, une fois sur deux...ce n'est pas la mienne. Les alarmes
antivols et moi avons tenu de longs discours de pacification...Il y a
pourtant un indice infaillible : sur la mienne, en principe, j'oublie
la clé dans la serrure. Les voleurs s'abstiennent : : ils pensent
que c'est pour la caméra cachée.
J'ai
coutume de dire que j'ai su écrire avant de savoir lire. Intellectuellement,
mon plus grand choc : la découverte de la mécanique quantique.
Moi qui avait été élevée au déterminisme
laplacien, là, il y avait de quoi me secouer les neurones. J'ai
regardé par la fenêtre, tout était calme, le monde
semblait ensommeillé. Je me suis dis : "personne ne doit être
au courant". Alors j'ai pensé qu'il fallait annoncer la nouvelle
à la planète toute entière ; Dieu m'avait enfin envoyé
un signe, confié une mission, mais les gens s'en foutent de la
marche du monde. Un ami me dit : "est-ce que t'as besoin de savoir
comment fonctionne ton frigo pour manger une glace?". Mais je savais
comment fonctionne un frigo.
Alors
mon père est retourné au service après vente des
naissances dans le district de Dieu. Mais le patron ne reçoit pas
: il est en thalasso à Biarritz, surmenage...Il se rabat sur l'ange
de service:
-Bon, finalement, on a réfléchi avec ma femme, on
va prendre l'option "croyance". Là, on n'en peut plus...
-Trop tard, on est en rupture de stock, tout le monde en veux en
ce moment. Vous ne regardez pas la télé? L'intelligence,
la malice, l'humour, ça ne se vend même plus au prix argus.
On ne fait pas de reprise.
-Et qu'est-ce que vous nous conseillez?
-Il me reste un peu de mensonge, mais à cette dose, ça
ne sert à rien : ce n'est valable qu'un série de luxe.
-Et si vous nous mettiez un ralenti, qu'on souffle un peu.
-Iimpossible avec ces bécanes-là. Ca marche à
l'énergie solaire et lunaire, ça ne s'arrête jamais.
A part un bon coup de masse sur le moteur, je ne vois pas...
-Merci, on va réfléchir...
Vous pouvez
me rencontrer allongée sur l'herbe mouillée une nuit de
pleine lune, pieds nu dans les calanques, au sommet des montagnes en chaussures
de plage. Atypique? Et si on disait vivante?
A suivre (enfin,
j'espère...)
A mon ami Jean-Pierre Petit. Il sait pourquoi.
à compter du 5 avril 2003
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