A
contre-amour, Episode 3, 28 septembre 2003
Et
d'un demi secret...
En un sens, il doit y avoir une
certaine jouissance mêlée à l’évidente douleur à brandir un secret sans
en vider le contenu. Ca pose un pouvoir sur l’autre, une hiérarchisation
des rapports parce qu’un possède le savoir, et dans la situation précise,
l’autre aurait besoin de le posséder, hors de toute curiosité. Je me
sentais à la fois embarquée et rejetée d’un tas de non dis dont finalement,
je ne voulais pas. Surtout pas à ce moment précis. J’avais signé pour
une histoire d’amour simple en embarquant sur Netclub dont le principe
me semblait tout de même un peu léger. Si j’avais débusqué un entrelacs
d’embrouilles en racolant un type à SOS amitié ou sur un pont du haut
duquel il prévoyait de se jeter, j’aurai admis ne pas avoir volé les
complications. Mais là… Et
puis, contexte auquel Franck n’a jamais seulement pensé : j’avais
eu une drôle de vie moi aussi ces deux dernières années et j’étais émotionnellement
et physiquement très marquée. La narration des circonstances réclamerait
jalousement son propre livre pour se déployer et à chaque écrit suffit
ses peines. Toujours
est-il que lorsque la chimie médicale m’a rendu, sous caution d’une
vie plus sage, l’usage de ma carcasse, j’ai pris la grande décision
d’admettre que tout n’était pas éternel en moi et de précipiter des
rencontres qui n’auraient pas lieu sans que je me mêle du cours programmé
de l’espace/temps. C’est comme ça que je suis entrée en amitié avec §§§,
sans économie, c'est-à-dire sans restriction et sans réserve.
Le pauvre n’avait pas prévu de débuter pilepoil des épisodes de maladie
successifs, mais il se trouve que le timing était réglé comme ça et
que c’est comme ça que je suis devenue spécialiste ès-cancer,
à potasser des bouquins de médecine et les compte-rendus de séminaires
spécialisés. Quand tout ça fut dénoué avec un happy end,
je me retrouvais émotionnellement vidée et pas prête à rempiler. Alors
une petite bouffée d’amour insouciant, oui après tout, merci, on pouvait
m’en servir une bonne dose. Le
15 juin, c’est-à-dire quelques 3 semaines après notre découverte, Franck
m’a écrit cette lettre dont je délivre la fin : Des questions: pourquoi
veux-tu me voir?
Si je te réponds pas avant 60 semaines, que
fais-tu?
Petit a: tu me claques l'écran au nez.
minuscule b: tu t'interroges, pourquoi 60? Improbable
c: tu me réponds chiche assorti d'un nombre incalculable de "conditions".
Où es-tu? Dans quelle ville? quel collège?
Pourquoi t'attire-je?
Que fais-tu demain? Et dans 60 semaines? Et maintenant, on ne rigole plus, parmi les deux ou trois choses
que tu dois savoir: je suis atteint d'une grave maladie (
pas contagieuse) dont le traitement lourd me bouffera 60 semaines
de ma vie. A la fin, d'elle ou de moi, ll
ne devra en rester qu'un.... quel choc, quel scoop! que
répondras-tu à cela? Répondras-tu à cela? Pourquoi sanparadox,
un message, une description, un appel, un sos?
pour me sentir vivant et être sûr de me donner l'envie de le
rester. je ne pensais tomber sur personne,
la perspective de souffrir et de vouloir le cacher rend cynique. Et
puis voilà, tu es là.... M'excuser? de quoi?
Je ne suis pas mort, queue de diable,! je
ne te demande que le temps qu'une parenthèse me suspend. Non, probablement,
je ne te verrai pas, non, tu ne chercheras pas à me retrouver, à travers
ma boulimie d'ailleurs. Oui, je veux bien continuer à correspondre,
par tous les moyens possibles, oui, je m'approcherai en secret de toi
si tu le désires. oui, j'accepte que ce mesage
soit le dernier si l'enjeu te dépasse et que tu as autre chose à faire
que de t'occuper des coups du sort des autres, fussent-ils amis, probables
amants? 60 semaines, titre d'un bien mauvais film. mais
pour moi, la réalité est là. j'ai accepté de
me soigner, je suis dur au mal, j'ai de bonnes chances de gagner, je
te demande quelquesoit la décision que tu serais amener à prendre (silence
radio, prise de contact) de respecter mon demi anonymat jusqu'à ce que
je sois guéri, please. encore une question,
serons-nous un jour amants? pas facile, n'est-ce pas?
Une réponse: je tiens à toi. je me donnerai
à toi, dès que je m'appartiendrai de nouveau. relis
mes messages si tu les as encore, il y a de nombreux indices de ce que
j'essayais désespérément de te révéler depuis, depuis?
Franck, le cachotier de taille. Belle
lettre, n’est-ce pas, qu’il avait du écrire la peur au ventre dans la
tourmente de l’abandon, redondante et obsessionnelle chez lui. Moi,
je la trouve parfaite. Parce qu’en parlant de sa peut-être mort, il
ne parle pas de lui, mais de moi, de nous. En la relisant plusieurs
fois dans la nuit qui suivit, je sus rapidement qu’on avait gagné une
belle histoire: car c’était une lettre d’amour ! Le sujet n’en
n’était pas la mort. Tout
de même, j’avoue ne pas avoir été très héroïque sur le coup. Jusqu’ici,
j’ouvrais chaque soir mes lettres avec le sourire au cœur, certaine
d’y trouver quelque chose de très doux déposé précautionneusement pour
nous faire du bien. Et là, le choc fut rude à proportion. J’eus un mouvement
non contrôlé de recul qui s’exprimait dans un réflexe de survie :
« non, ça ne va pas recommencer la maladie, je ne peux plus… ».
J’avais eu la mienne, celle de §§§, sans parler de ceux qui avaient
l’idée d’essayer de se suicider au collège, un quotidien cumulé sans
relâche de plus de trois années de cohabitation proche avec la mort.
J’avais ponctionné sans compter dans mes réserves altruistes plutôt
bien servies ; je m’étais gavée les neurones de données médicales
comme autant d’armes pour contrer la stratégie des envahisseurs de tous
genres, pour être une conseillère potable aussi…Et là, je n’en pouvais
plus ; je n’avais plus rien dans les veines, plus d’énergie pour
bouffer de la mort et si elle voulait encore quelque chose de moi, qu’elle
me prenne comme il lui plaira et qu’on n’en parle plus… Je n’étais pas très fière de cette petite crise d’égoïsme
que j’analysais sans délais comme telle au bistouri d’une conscience
rude pour sa propriétaire. En
tout état de cause, j’avais une nuit au plus pour prendre une décision.
Je me sentais mal, j’en voulais à la douleur de passer toujours par
mes terres comme si c’était un raccourci vers la sortie. A ce moment,
j’ai compris ce qu’on me disait enfant : qu’un beau rêve est toujours
piégé quelque part. Franck
avait si peur que je l’abandonne qu’il me livrait le mode d’emploi pour
le faire. Surtout « maintenir son anonymat », sa clandestinité. ?!?
Drôle de bonhomme quand même…Qu’est-ce que cela pouvait-il bien vouloir
dire, l’anonymat de quelqu’un que je connaissais à peine ? Il me
laissait démunie de tout signes identificatoires : pas d’adresse,
pas de téléphone, aucune spécification de son lieu de travail ;
pas de photo...Une espèce de nom en entête d’un mail qui aurait aussi
bien pu être emprunté à un pseudonyme concocté pour l’occasion comme
il est de pratique courante dans le relationnel internautique heureusement suspicieux…S’il m’avait enjoint
au contraire de répandre sa bonne parole et sa gloire à travers le monde,
fichtre, je me demande bien comment je m’y serai prise…
En tous cas, je me voyais mal armée pour faire la
maline devant les copines en disant : « je sors avec Franck
S., petit prof de la banlieue orléanaise qui a un peu traîné ici comme
maître-aux (auxiliaire) et qui a l’exclusivité d’attraper une des maladies
modernes les plus répandues du pays…». Effet garanti : tout le
monde se retourne et reprend sa passionnante conversation sur la météo
de lendemain… Je me souviens d’avoir souri à cette espèce d’immodestie
surréaliste et je passais la nuit à cogiter sur mon implication ou pas
dans cette histoire d’amour. Car le sujet était précisément celui-ci,
à l’exclusif de tout autre : il ne s’agissait pas de me sonder pour
savoir si j’étais assez ignoble pour ne pas tendre la main à quelqu’un
en détresse. Bien sur que je ne le repousserai pas, que je le soutiendrai
moralement…Mais l’aimer, nous aimer, est-ce que nous en serions capables ?
Le lendemain donc, décision prise et nuit enlevée, je lui
envoie un mail que j’essaye de mitonner avec de la passion juste
pour l’assaisonnement et la force comme plat de résistance. Humour toujours,
parce que je ne sais pas faire autrement…Surtout, sans dramaturgie ni
compassion : Il fallait qu’il sache que je saurai être à ma place.
Moi,
16 juin 2002, fin de la lettre : Je ne te demande qu'une chose qui n'a pas de
délais de prescription : sois sincère et honnête. Toutes les questions
que je m'ose à te suggérer sont subsidiaires : -qu'as-tu au juste? Les tabous des maladies dont on tait
les noms se transforment en entités de hantise. -comment est-il possible de quantifier exactement 60 semaines
dans la mesure où les réactions somatiques gardent leur quota d'imprévisibilité? -pars-tu en voyage dans les endroits décrits ou à l'hôpital? -dans un cas comme dans l'autre, quand précisément? Envois-moi une photo, je ferai de même. J'ai besoin d'un support. Je tiens à toi, mais plus que jamais on a un
challenge urgent à relever : quel relationnel nous liera? Je ne te laisserai
pas tomber, ça ne me ressemble pas. Mais on ne peut s'attacher pendant
plus d'un an au rêve de devenir amants alors que le premier regard échangé
nous conduira peut-être irréversiblement vers une autre approche. Comprends
que j'ai besoin de me fixer les idées et d'agencer ma vie. Bien sur, j'ai guetté les nombres à deux chiffres
placés au bas des messages (nda : mystère non résolu pour
moi. J’en reparlerai…). J'en avais conclu
à la délivrance d'un numéro de téléphone portable selon une méthode
de l'attente et du dévoilement à laquelle tu m'avais habituée. Je te communiquerai mon téléphone au moment
opportun dans la clarification de la situation. A la vie et au destin, pourvu que ce soit
nous qui leur dictons leur cours. Acteurs du monde toujours... P. Réponse
de Franck, amputée de la partie médiane (sans intérêt avec le sujet…),
16 juin tout d'abord, merci pour
ta réponse. Compte tenu de mon message précédent, je n'espérais ni ne
redoutais rien. On avance très vite, je trouve: (…) Pourquoi 60? Parceque
c'est le nombre de semaines raisonnables pour espèrer
une guérison totale et pas une simple rémission et pouvoir retrouver
à grands renforts de kiné une apparence qui ne fasse pas peur ceux qui
ne la côtoie pas régulièrement. La maladie? Banale, terible,
mais dans mon cas pas mortelle à tout coup, un crabe aux pinces même
pas d'or ou alors dur, de la prostate comme tonton? non,
moins courant, de l'estomac. Bien sûr dans mon entourage, famille, amis, nul ne
sait, et cela restera ainsi le plus longtemps possible, j'insiste, je
mènerai cette guerre seul en apparence, puisque médecin et autres personnels
soignants me connaissent un peu maintenant, ils sont soumis au secret
professionnel, pas toi, je te conjure de me laisser intègre et de respecter
ma volonté de futur homme malade, je vais guérir j'en suis intimement
persuadé, j'ai besoin de temps, pas du tien, je ne te le volerai jamais. Je n'ai pas répondu à tout, donc à suivre. Franck, le combattant que la mort affole. 16
juin, extrême fin de la lettre : Dis-moi de toi ce que tu veux...mais dis-moi ce que tu veux de
moi. Il me faut savoir, je suspends mon vol mais si tu ne m'apporte
un souffle d'air, je vais tomber. 16 juin, début et plus loin
17
juin Je ne dors pas, ni le soir ni le matin : il
fait trop chaud, je pense à toi. Je te t'imagine
pas, je te pressens, j'aimerai te percevoir. Ce souffle, peut-être sur
mon corps encombrant et inutile...L'impression d'un rêve qui ne laisse
pas d'image, qui me sent vivante, mais ne m'apaise pas. Une attente
lancinante qui ricane du temps qu'elle a : des semaines là où quelques
instants suffiraient à me rendre folle. Une nuit ennemie qui me taquine
et se sauve avec ton empreinte. Tu crains ton corps, et je n'ai pas confiance
dans le mien. Saurai-je te séduire dans ma négligence insouciante des
artificialités féminines, mes cheveux rebelles qui se sauvent d'où je
les mets, sans ce maquillage que la chaleur rejette comme un intrus.
Sauras-tu prendre mes formes sans trouver leur générosité encombrante,
comprendra-tu leur douceur, adopteras-tu leurs rondeurs? Et suivras-tu
mon pas empressé, mes ongles sans vernis, ma valise légère, mon enthousiasme
démesuré ; mes pieds nus dans la rosée, pas pressés de se chausser;
ma sensualité expressive qui se trouve chez elle autour d'un pique-nique
au bord de l'eau ou au fond des bois plutôt que dans les grands restaurants;
mes mains qui se réjouiront plus du contact de l'eau fraîche, du sable
doux et du corps que tu me céderas que d'un diamant étincelant. Je reste une sauvage importée dans la civilisation,
pas rebelle, mais indépendante à ses contraintes excessives. Je ne suis
pas d'ici et je serai chez moi au bout du monde. Je suis libre, je n'ai
rien à vendre, je donne avec démesure, souffre avec démesure, respire
le monde avec une acquittée disproportionnée, je sais être heureuse
à faire exploser la vie. Je te surprendrai à t'en fatiguer le coeur,
exigerai que ton imagination se contorsionne, que ta douceur s'assaisonne.
Et parfois je me réfugierai dans ma jungle, seule, te rappelant que
tu es libre, que tu n'es pas à moi. Je veux te voir, vite : je ne jugerai pas ton
corps, je ne le regarderai pas : je l'écouterai battre. Rien chez toi
ne me fait peur que te manquer. 60 semaines à te voir malade me fait
moins peur que 60 semaines sans te voir. Ne me rejette pas dans le virtuel
: c'est toi que tu protèges, moi que tu sacrifies. Oses, la vie te l'impose. Sans paradoxes, je t'envois l'unique photo que
j'ai trouvé de moi (tu double-click sur le
trombone pour l'ouvrir), l'été dernier, grimpant sur les rochers lunaires
de l'Etna brûlé en éruption juste pour moi. J'aimerai te dire que tu
me rencontreras en robe du soir avec les chaussures de cendrillon aux
pieds, mais tu risques de m'enmener comme
ça dans la verdure printanière ou les plaines asiatiques, si tu veux
de moi. Voilà, je risque tu vois. Je ne veux pas t'embarquer
sans ton consentement puisque déjà nous vibrons à l'unisson. Je suis
d'accord avec toi, je ne serai ni une mère consolatrice, ni une infirmière
prévenante, mais pleinement une femme. Les cartes sont dans tes mains
: tu sauras si tu peux jouer gagnant. Etrange vie : mon correspondant et inséparable
ami a passé les six derniers mois avec une grosse suspicion de cancer(…) Cancer ainsi donc. Maladie au refrain mortifère sur ma famille décimée par lui autant qu’à la guerre. Mes deux grands-pères y avaient lâchés leur peau, une grand-mère un doigt, histoire de le calmer jusqu’à son retour. A la disparition de mon grand-père maternel, ma petite vie de quatre ans s’est prise dans son insouciance une belle raclé de mort. J’en avais bien écouté la légende à la télévision, mais là-bas, l’alternative est simple : on est ou vivant, ou mort, l’un après l’autre. Mais pas les deux à la fois…Mon aïeul adoré avait gobé une de ces entre-morts un beau jour à francs poumons, et elle coulait dans ses veines en mangeant tout ce qu’il y avait à l’intérieur. Je croyais aussi que les cancers étaient amis avec les dieux parce qu’ils étaient éternels et cruels. Au décès de mon grand-père, nul ne prit la peine de dire à l’enfant qu’il avait largué sa carcasse au maître des cieux ; je n’en su rien, attendis des années qu’il sorte de l’hôpital en taisant le mot interdit : « cancer », le roi des enfers.
Plus tard, lui et moi avons eu une conversation au
téléphone. Comme dans ses lettres, il se prit dans un de ses comportements
contradictoires qui ont toujours déconcertés mon rationalisme natif.
La Maladie, il la vaincrait seul. Je réagis : Cependant,
ce soir là, assise par terre avec mon téléphone dans la main et le dos
callé au mur froid de mon bureau, je serrai les dents sans énoncer ce
qu’il n’était pas prêt à entendre : après tout, c’était lui le
chef du cancer, et moi, pour l’instant, dernier troufion enrôlé. Je
les apprivoiserai, tous les deux. Le
nœud du secret n°1
Le problème de la poursuite
de notre histoire d’amour ayant été réglé d’un coup de cervelle noctambule,
j’entendais bien reprendre l’intrigue là où on l’avait mise en stand-by :
la rencontre. Dans le rapport précis à cet objectif, la situation pouvait
se résumer ainsi :" tu as un cancer, ok, et alors ? Quand
est-ce qu’on se rencontre ? ». Simple…
Je
lui implorais le 18 juin sur cette fin de lettre de se donner à mes
yeux : Franck, au diable les apparences si nos yeux scintillent
: le reste n'est qu'emballage. Te voir, t'effleurer, à n'importe quel
prix...Ma présence te jettera un sort d'invulnérabilité ; de ma main
je te transfuserai l'énergie qui te revient, que tu me laisses cruellement et
dont je ne sais que faire. On gardera en nous la chaleur du soleil,
on ne la laissera pas se sauver puisqu'elle brille depuis cinq milliards
d'années pour nous rencontrer réunis. Il te faudra entretenir ton flux
de vie et le destin m'a envoyé pour magicienne. Ne le contredit
pas, ne jette pas son cadeau sans l'avoir ouvert. J'ai dix jours
pour te convaincre et je ne fléchirai pas : comment pourrai-tu avec
ton coeur qui bat vers moi me priver de ce que tes collègues, ta famille,
tes amis, les simples passants...côtoient tous les jours. Comment pourrais-tu
décider seul de ce qui nous concerne tous les deux. Je suis là avec
toi et tu dois entendre ma sérénade désespérée. Je serai avec toi, mais sois avec moi. Un bon soupirant soupire
toujours à l'oreille. Même
jour, sa réponse en intégralité pour une fois je ne sais pas ce que je risque
à te répondre encore une fois non. Non, tu ne me verras pas comme je
suis actuellement; oui, les autres me voient, mais les autres ce n'est
pas toi. A toi, je veux me présenter comme j'étais avant de faire
une réaction importante au premier traitement mal dosé. Je sais qu'à
force d'abnégation, de souffrance et de solitude, Franck sera de nouveau
présentable à sa douce internaute. Notre première rencontre sera si
importante, ne me laisse pas démuni, fragile dans la seule décision
qui vaille. Tu veux de moi qqch que je ne peux t'offrir si vite ,
une grande partie de mon corps et de mon intelligence s'y refuse pendant
que mon coeur et ma déraison me tenaillent. Je vais probablement t'envoyer
une photo de moi (je n'ai vraiment pas l'habitude), juste avant les
premiers ravages sur un organisme fatigué. Tu pourras jugé sur pièce
si j'ose dire. Quoiqu'il arrive cette photo ne me reviendra jamais,
elle t'appartient déjà, elle est invendable... Tu me manques, oui, je sais c'est culcul
comme expression, étant donné que l'on ne s'est jamais rencontré, encore
que.... 10 jours, pour ne pas me trahir, 10 jours pour imaginer un apaisement
à tes, à nos tourments; la photo d'abord, je ne sais pas où je vais
pouvoir en dénicher une, puis une montrable, le téléphone ensuite, ma
venue peut-ête sur ta butte, ma présence, mon souffle, mes mains....
mais ni mon visage ni mon corps, encore une fois désolé et désolant,
mais je ne pourrai pas. Oui, les autres me voient, s'interrogent ou
pas, se détournent parfois instinctivement, ils ne savent pas que ce
n'est pas la mort qu'ils croisent mais la vie en cours de régénération.
Je me montre fort peu de toutes façons, presque naturellement, je me
construis mon abri pour hibernation, je me coupe des êtres chers, ils
ne s'en offusquent pas car ils connaissent mon indépendance et ma propension
à ne donner signe de vie que de loin en loin ou bien au contraire de
les accompagner pour une tranche d'existence. Je vais avoir besoin de
toutes mes forces, de toute ma croyance en ce que j'ai bâti de meilleur,
en mon futur. J'en pleure ce soir d'appréhension et de révolte, de résistance
et de détermination. Les heures noires approchent et je ne veux pas
t'y associer, d'autres suivront plus belles, puis d'autres encore, éclatantes
pour toi comme pour moi, pour toi, avec ou sans moi. Je suis plus froid qu'on ne le pense, pas trop bête, doué
d'une faculté à poser les questions qui gênent à des praticiens devenus
intimes. J'ai envisagé de perdre, j'en suis plus fort encore, je connais
chaque étape, chaque piège, un peu à l'image d'un descendeur de ski
alpin qui se remémore son parcours en haut des pistes en mimant chaque
virage et chaque temps fort. Laisse- moi faire, petite fée, ne te mêle pas d'un combat
dont je tairrai sans doute les outrances.
Tout cela me regarde, personne autour de moi ne sait et ne saura, toi
déjà te voilà bougrement bien avancé... Franck, l'atout maître
de son destin. 19 juin, j’insiste J'accepte cette dissymétrie : tu sais où je travaille,
quel est mon bureau, qu'elle vue emplie mes yeux ; tu visionnes sans
doute le petit bâtiment derrière la cours du collège où j'habite avec
ma voisine §§§ (nda :qu'il a connu lors de son passage au collège
dix ans plus tôt); tous mes levers de soleil sur mon site, un peu de ce que j'ai dans
la tête; tu as mes yeux, cette photo de mon volcan déchaîné
qui bouillonne lui aussi ; tu sais que je serai auprès de toi sur un
mot donné à voix basse. C'est moi qui suis fragile et tu ne te seras
jamais senti si attendu et désiré. Tu me manques aussi... Voici donc, fin de l'énigme n°1 : ça n’était pas la maladie mais le corps qu’il y avait autour qu’il cachait. Malgré moi, malgré des dithyrambes d’éloges à l’âme, d’insultes aux apparats d’une beauté convenue. J’aurai
voulu savoir quoi penser de ses dérobades inutiles : ou il me jugeait
plus futile et moins forte que je ne me croyais, ou le héros de l’abnégation
accordait lui-même une telle prévalence au physique dans les relations
amoureuses qu’il ne pouvait placer l’enjeu ailleurs. Dans le premier
cas, c’était injuste et cruel envers moi ; dans la seconde éventualité,
je m’apprêtais à cuver ma déception. La question toutefois resta à ce
moment sans réponse, tout simplement parce que je ne me rappelle pas
l’avoir posée. Je comprenais qu’à tout prendre, un corps abîmé reste
encore plus évident à porter qu’à donner. Il me livrera sans mot et
sans que je n’aie à le torturer des miens la solution plus tard, ma
tête couchée sur son épaule… A
suivre… |
épisode
1 épisode
2 épisode
4 épisode
5
à compter du 28 septembre 2003