A contre-amour,
Enquête dans le coeur d'un agent secret des renseignements extérieurs
Episode 1, 2 juin 2003
Règles
du jeu :
Ceci n'est pas une fiction...C'est
ma vie, mais il est vrai que si elle fictionne de temps en temps, c'est
certainement ma faute...
Telle que vous ne me voyez pas,
j'en ai gros sur la patate. J'ai promis de ne pas parler, mais à
bien y réfléchir, pas de ne pas écrire. Alors, la
seule chose que je vous demanderai lorsque vous parcourerez ces lignes,
c'est de ne pas les lire à haute voix et de ne pas bouger les lèvres.
Ceci, et ça me fent le
coeur de le dire, n'est pas une histoire d'amour : c'est une histoire
avec de l'amour dedans. Mais ça n'est pas moi qui en ai décidé
ainsi...
Vous en prendrez un morceau au
gré des régurgitations de mon coeur et la continuité
n'est pas garantie.
Ceci n'est pas un roman d'espionnage
: c'est de mon temps de vie avec un espion glissé dedans.
Je logerai dans mon récit
quelques-uns des e-mails d'amour écrits de lui à moi le
soir à la plume d'oie d'un clavier imposteur.
L'histoire n'a pas encore trouvé
son point de dénouement. Elle est donnée avec un léger
différé. Le suspens est donc entier mais il n'y a rien à
gagner pour celui qui aura deviné la fin...
Et si tout n'est pas vrai, je
n'y peux rien car tout est réel.
Voilà... Et que le premier
qui comprenne le dise à l'autre...
A tous les aventuriers de l'amour de tous les mondes
Introduction
J'ai attrapé Franck en
mai 2002, comme on attrape la grippe espagnole, sans raison et sans remède.
Tout a commencé parce
que le printemps injecte assez de phéromones dans l'air doux et
venté pour que chacun se sente concerné par les amours,
qu'il soit volontaire ou pas. Je me classais cette fois assez paresseusement
dans la catégorie des "sans opinion sur la question".
J'avais déjà donné...Trop ou pas assez, la conclusion
est la même : les magouilles amoureuses ne sont pas rentables à
long terme.
Quelles perspectives s'offraient
donc à ma carrière d'amoureuse de 32 ans? Les configurations
sont finalement assez limitées. Par la géométrie
d'abord, même si je ne milite pas pour le sexe accrobatique...Par
des millénaires d'évolution civilisatrice qui ont décidé
qu'on ne peut pas construire sa hutte au troisième étage
de la tour Eiffel pour s'envoyer en l'air...en l'air.
Bien sur, il y a dans le domaine
des nuits conventionnelles qui dépannent, des amoureux de bonne
volonté, des amants techniques, des furtifs étourdis qui
oublient leur caleçon sur le tapis. Les variations sépuisent
: il faudrait de temps en temps avoir d'énormes trous de mémoire
pour avoir l'impression de consommer de la chair fraîche. Sinon?
Compter les points, mais y-a-il un prince qui n'ait pas les oreilles décollées
à gagner?
Tout cela est étrange
: quand on est amoureux, les blessures précédentes prêtent
leur énergie au bonheur du présent qui se consomme en connaisseur.
Mais sitôt la magie rompue, ces élans de vie s'entendent
comme autant de même pour pendre leur poids au coeur. L'addition
se paye par accumulations répétitives ; chaque rupture réclame
la créance de crédits qu'on croyait réglés
une fois pour toute.
Je suis finalement trop sensible
pour aimer. Trop tout. C'était ma dernière chance d'arrêter.
Manquée.
Netclub
J'ai deux drôles d'amis,
au masculin, qui n'ont pas appris à parler de la pluie et du beau
temps ou de la croissance des asperges. A leur âge, la lacune me
semble irréparable.
Jusqu'ici, quand les hommes me parlaient d'amour
et de ses délices, la clé de leur chambre d'hôtel
tintait impatiemment dans leur poche, et tout était si simple.
J'ai aussi ailleurs en guise de vieux copains quelques spécimens
qui me font la comptabilité de leur cheptel en alignant les conquêtes
par barre à trois chiffres, classées inversement proportionnel
à la taille de leur soutien-gorge. En principe, et c'est un principe,
on ne peut pas parler d'égal à égal amour avec un
homme...parce qu'en la matière, l'égalité n'existe
pas. Et ensuite, parce qu'évidemment, les hommes n'y comprennent
rien...
Mes deux amis n'échappaient sans doute pas à ces règles
fondatrices de la pérénité de l'humanité,
mais ils avaient le vice de me connaître au-delà de mes défenses
et pour des raisons différentes, d'être hors de toute portée
de ma libido, et inversement. Dans les faits, ils se révèlèrent
les meilleurs coach en liaison amoureuse qu'il m'ait été
donné de pratiquer et je dois reconnaître que pas une de
mes copines de lycée n'arrive à la cheville de ces professionnels
de l'amitié engagée. Et je suis sure qu'ils sauront apprécier
le compliment comparatif à sa juste valeur...
C'est donc sur leur ordre et
pour mon bien paraît-il, que je déposais à la mi-mai
une annonce sur un site de rencontre bon chic bon genre, plein de fils
à papa et de gendres parfaits, tous beaux, intelligents, un peu
riches...auxquels ne manquaient qu'une liaison réussie à
leur cv. La plupart des propositions de rencontre étaient si soft
que le sexe semblait être en option de luxe.
Inutile de décrire par onomathopées la ribambelle de grognements
et autres vocalises qui ont sonorisé mes protestations à
cette mise en lucarne internautique. L'argument de résistance est
finalement fort simple : l'orgueil et la vanité séductrice
sont des défauts typiquement masculins qui n'épargnent pas
les femmes! Si mes deux compares n'avaient fini par avouer sous la torture
s'être livrés à cette même dérogation
au bien courtiser, aucune parlote ne m'aurait fait transgresser des années
de pratiques relationnelles traditionnelles éprouvées et
validées par d'assez jolis trophés. Mais j'étais
assez fière de mes amis, et je me devais d'être digne de
l'intérêt qu'ils me portaient. Donc de me secouer. C'était
bien la moindre des choses.
Je n'ai pas conservé de copie
de la rédaction de mon annonce mise sur Netclub, sinon, je la reproduirais
ici. Par respect pour Franck et pour les autres hommes en chasse, j'ai
cru bon de la supprimer dés qu'il fut évident que lui et
moi ferions un bout de chemin ensemble, c'est-à-dire finalement,
très rapidement. Notons au passage que près d'un an après
notre rencontre, la sienne y figure toujours...
Le canevas de l'annonce se présente
en deux parties : l'une est en figures imposées et enjoint de présenter
son pedigree le plus complet. Taille, poids, couleur de cheveux, des yeux,
niveau d'étude, profession...Ne manque qu'une emprunte de la patte
et une analyse d'urine! La seconde propose un petit cadre d'expression
libre. Certains sèchent et préfèrent s'abstenir plutôt
que de récolter une mauvaise note avec un zéro en orthographe.
Les bons élèves donnent à 80% dans une déclinaison
plus ou moins poétique et rymmée du "jh bien sous tous
rapports ou presque cherche jf bien sous tous rapports pour Grand Amour
Eternel". Là, moi je me sauve à l'autre bout de la
planète pour motif de non-compatibilité évidente.
Les vingt pourcents restants sont concédés aux pauvres bougres
qui ont eu le malheur de récolter une jeune femme bien sous tous
rapports sans en mesurer les conséquences et qui reprennent leurs
esprits en tendant une désensibilisation par excès de sexe
cherché en territoire extérieur. Grand bien leur fasse,
je ne suis pas de cette maladie-là non plus.
Quand j'ai débusqué
Franck, je conversais depuis peu de manière policée avec
deux gentils garçons qui m'ennyaient au plus haut point. Je ne
persistais studieusement que pour remplir le cahier des charges refilé
par mes deux amis. §§§ (nda : anonymé jusqu'à
autorisation de la personne concernée. Je ne souhaite pas utiliser
de speudonyme : chaque détail est strupuleusement vrai) ne
plaisantait pas sur le sujet, le sexe étant pour lui une question
de vie ou de mort à moyen terme. J'étais quant à
moi partante pour une dissertation en trois parties sur le sujet, mais
il déclara les parlementations sur mon cas terminées et
je fus sommée de lui fournir régulièrement un état
des lieux de l'avancement de ma mission sentimentalo-érotique (ou
érotico-sentimentale...) : "Au rapport dans dix jours.
Exécution, rompez!"
Quelques dix jours plus tard,
bonne joueuse mais mauvaise perdante comme il pouvait l'espèrer,
je le gratifiais du mail suivant.
Cher §§§,
10 Juin 2002, Planète Terre, journal de bord du Capitaine, rapport
n°1 au Confédéré Supérieur §§§.
Mon translateur spatio-temporel m'a déposée comme prévu
sur Love-Planet. La mission (que je n'ai pas acceptée, mais bon
on m'a forcée...) qui consiste à enlever et à conduire
un spécimen mâle labellisé au septième ciel
par des moyens non-encore communiqués connaît quelques aléas
fâcheux. La proie est victime d'un comportement non-spécifique
de l'espèce et j'en appelle à votre haute expérience
pour me sauver avant que la fenêtre de l'espace-temps ne se referme
et que du ciel, je ne tombe au 36 ème dessous.
Le manuel de bord ne fait aucune référence aux cas de mâle
vigoureux à l'oeil vif et au poil brillant qui préfère
parler des étoiles et susurrer des mots tendre plutôt que
de convoiter le ciel au lancement d'un édredon. Je sais qu'il est
préconisé en pareil cas d'urgence de sauter sur le facteur
mais les récentes données confirment qu'une factrice gros
gabarit lui a succédé. Et mon sens du devoir envers la galaxie
a ses limites.
Ces humanoïdes au cerveau précaire ne connaissent pas encore
la télépathie et les pauvres qui en sont frappés
ne savent gérer les afflux d'information. Je me résous donc
à écrire, mais les plumes d'oie de nos manuels ont disparu.
Les volatiles aussi peut-être. Je frappe virtuosement quelques mots
élancés à un jeune homme digne de son espèce,
aventurier à l'humour ajusté qui a déjà su
prendre un grand bol de vie et retend sa gamelle. Enfreignant quelque
peu la bienséance de cette planète qui suppose l'audace
masculine sans lui attribuer, j'invite le spécimen à une
rencontre sans présumer de rien (mais en imaginant tout!). Jouant
les princes galants des livres de conte qui me murmure des mots tendre
sur l'écran, il m'écrit :
-tu es une correspondante comme on en trouve rarement et tout compte fait,
cette relation épistolaire me fait tellement de bien que je ne
veux pas prendre le risque de la perdre. Des occasion de rencontre, on
en a des tas, ce que tu m'offres en m'écrivant est sans doute unique...
NON, MAIS CA NE VA PAS? Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir que
je reste la correspondante de l'ombre? J'ai une mission à remplir
moi et le vétéran exige des résultats, vite. Si ce
doux romantique reste dans un espace différent, j'irai voir ailleurs
et j'opterai pour un discours tellement insipide que les gars n'auront
qu'une idée : me rencontrer pour abréger ce calvaire épistolaire
et voir sur place s'il y a un truc récupérable.
Demande permission de déclencher l'alerte rouge.
Fin du message.
Amicalement, P.
La permission sollicitée
fut donnée avec une bénédiction en prime. L'aventure
pouvait commencer. Je gardais §§§ comme copilote quasi
exclusif de cette virée même si je dois avouer avoir été
obligée de le bayonner et de l'enfermer bien souvent dans le coffre
pour pouvoir prendre la route de ma convenance! Après, il était
toujours temps de le libérer pour pousser la machine lorsqu'elle
se perdait dans le desert sans essence...
Ces sites de rencontre réinventent
délicieusement les proportions de la sélection naturelle
: y gambadent entre deux et cinq fois plus d'hommes que de femmes. De
fait, les messages de sollicitation prennent leur tour d'attente dans
une longue file chronologique, et à moins d'avoir une secrétaire
particulière pour faire la correspondance, il faut se résoudre
à apprendre à trier d'un coup d'oeil en économisant
des réponses exploratrices inutiles. En ce qui me concerne, les
hommes n'avaient pas pour vocation de décorer mon salon ni de plaire
à ma mère, de sorte que leurs mensurations et leur inocuité
pacifiste me laissaient indifférente. Les attitudes d'écoliers
dociles à remplir une fiche en caressant l'examinateur dans le
sens du poil ont toujours eu plutôt tendance à m'exaspérer.
Les sages aux sages. Les fous aux autres. A moi quelques inclassables
incasables et intrigants...
L'annonce intrigante de Franck
Je me suis donc mise à
lire les annonces de rencontres comme je lis le journal, en cherchant
en quoi le dissonnant fait sens, construit une intrigue signifiante. Voici
donc extrait du site Netclub en copier-coller l'encart de Franck tel qu'il
reste consultable aujourd'hui 2 juin 2003...
Hmm... Je suis suffisamment compromise
dans l'Education Nationale pour savoir qu'un enseignant y travaille 18
heures sur les 168 heures que comptent les 7 jours d'une semaine et semaine
sur 36 semaines par an. . Restaient donc potentiellement
150 heures par semaine de non-réquisition. D'autre part, et en
admettant que les voyages ponctionnent toutes ses périodes de vacances
scolaires, le bonhomme demeurait en principe tout de même coincé
près de son lieu de travail les deux/tiers de l'année. Pas
mal quand même...Combien de temps estimait-il donc qu'il soit nécessaire
pour aimer quelqu'un?
Je me voyais assez bien avec un homme à
mi-temps. La perspective était assez proche de ma façon
d'envisager les relations amoureuses sous un mode allégé
en contraintes. J'ai donc rompu avec mes pratiques de femelle attentiste
daignant gratifier de temps en temps un des internauto-courtisans de quelques
lignes de texte en abordant moi-même "Sanparadox" : soyons
fous! Mon message fut le suivant, texto :
J'espère que tu ne renonceras
pas à cette vie-là. L'aventure et l'amour ne s'excluent
pas et on peut aimer sérieusement sans s'engager dans une vie pépère.
J'y crois.
Réponse de sa part :
Je pense que tu as tout à fait raison
et je ne me vois pas de sitôt chausser des charentaises au coin
d'un tube cathodique. Néanmoins pour aimer, il faut assurer un
minimum de présence auprès de l'autre et c'est ce que je
n'ai jamais su ou voulu faire. Je pense depuis peu que c'est dommage,
alors voilà le pourquoi de cette annonce.
Et toi, peux-tu m'en dire un peu plus sur ce que tu recherches?
Les mails, mode d'emploi...
Je n'ai pas mention des premières
dates se situant de toutes façons fin mai 2002. Il faut comprendre
comment fonctionnent les échanges qui se positionnent dans des
fenêtres internes au système de navigation du site. Sauf
à se communiquer des adresses e-mail qu'on peut fort bien créer
pour l'occasion sans mention d'identité, les messages ne transitent
donc pas par Outlook express. Ils sont rédigés en ligne,
sans outil de traitement de texte et sans conservation possible d'un double.
Après un délais de 15 jours je crois (ou de 15 jours sans
nouvel échange), les messages sont supprimés automatiquement.
Des trésors de lettres d'amour quittent ainsi les octets des disques
durs des serveurs de Netclub sans une seconde chance de réchauffer
ou de torturer les coeurs!
Ce qui s'est passé pour moi, c'est
que j'ai tout simplement reporté en copier-coller sur une page
Word les messages échangés avec Franck. Ca peut paraître
curieux et prémonitoire comme comportement, mais au départ
de cette rencontre, je menais de front trois correspondances avec la crainte
de me mélanger les pinceaux entre tous ces braves hommes, de les
confondre éhontément, d'en saouler un de trois fois le même
récit en pensant le servir modérément et modestement
à chacun...J'ai donc rationalisé ces magouilles amoureuses,
jetant chaque coco sur une page séparée et avec en double
sécurité, une couleur de caractères différenciée!
C'est là que je me suis aperçue du talent rare qu'il fallait
posséder pour mener une double vie...
Après peu de jours, j'ai largué
les deux autres types pour écrire de toute mon âme à
Franck. Ca a stoppé la nécessité stratégique
de transposition de mail sur Word...Jusqu'à ce que mon coeur revendique
des relectures et exprime ses attachements à des mots qu'il n'avait
pas envie de voir filer dans un vidage de poubelle de Netclub. J'ai donc
maintenu le traffic de rappatriement vers mon propre espace de stockage.
Très peu ont échappé
à la traque, mais il y en a. J'ai rapidement pris l'habitude de
dater les copies de leur jour d'envoi ou de réception. A compter
du 10 juin 2002, nous avons abandonné l'espace Netclub pour véhiculer
via nos propres adresses mail, et nos noms et prénoms respectifs,
le mien propre, et celui sous lequel il s'est présenté à
moi, le seul dont j'ai jamais eu échos...
L'intégralité des textes
tient finalement en assez peu de pages. Franck m'a appelée la première
fois au téléphone le 17 juin au matin et ce mode de communication
a rapidement suppléé le précédent. Les lecteurs
qui me suivent depuis longtemps s'étonneront certainement de la
briéveté relative des textes, mais leur fonctionnalité
n'était pas de nous raconter, mais de susciter la rencontre. Ils
ont donc leur style propre, mélange de retenue et d'impatience.
Je ne me sens pas le coeur à les
placer tous dans le corps du récit. C'est en soit un geste grave
de renoncement à l'intimité et à l'amour dans lesquels
ils ont été écrits et reçus et il n'y en a
pas un qui ne quitte le cocon chaud de mon coeur secret sans douleur ravageuse,
sans pleurs, sans renoncements provisoires, parfois définitifs,
sans regrets ; sans rancune aussi pour ce qu'on est devenu, sans nausée
pour le gâchi concédé...Dans chacun il y a la trace
des rayons du soleil d'été qui lazuraient l'écran
au soir de leur écriture, l'échos du téléphone
qui a osé interrompre ma lecture pressée de celui-ci, l'odeur
de l'herbe fraîche du soir qui a accompagné l'éclosion
d'une expression... Mais il le faut : dés lors qu'il ne reconnaît
plus ces mots, qu'il ne les assume plus, qu'il estime ne plus rien devoir
à leur pérénité, je ne peux les prendre en
charge toute seule. Ils me tuent comme ils m'ont fait vivre. Voila donc.
Les mails donnés le sont dans l'état initial. Les rares
coupures seront clairement indiquées et justifiées.
à suivre...
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